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« Faisons un essai, dit-il, entrons dans la première hutte venue, et voyons si nous y trouverons du papier, de l’encre et des plumes. » On entra dans une hutte pour l’heure vide de ses habitans, et l’on y trouva sans peine les plumes et l’encre, qui, supposant nécessairement le papier, dispensèrent de plus minutieuses recherches. Grâce à ces salaires, les indigènes se composent peu à peu un outillage agricole ; sur vingt-huit mille charrues que l’on compte dans la colonie du Cap, les Cafres en possèdent plus de neuf mille, et les Basoutos, dans ces dernières années, en ont acheté par milliers. Grâce à ces salaires, ils augmentent leurs troupeaux et deviennent producteurs au delà de leurs besoins ; dans la colonie du Cap, en 1875, les Cafres possédaient 1,108,346 moutons et avaient produit 2,249,000 livres de laine. Le gouvernement colonial ou les particuliers mettent des terres en location ; le Cafre se trouve en mesure de donner le prix demandé. On ouvre des écoles pour ses enfans, il les y envoie, et se montre assez riche pour payer un minimum de rétribution mensuelle. Enfin, c’est grâce à l’argent anglais répandu parmi les tribus sous diverses formes que les indigènes ont été capables de s’armer, de réformer intelligemment leur vieille tactique guerrière en faisant précéder leur traditionnelle attaque à la zagaie de fusillades meurtrières, et que Cetywayo tient depuis cinq longs mois l’Angleterre en échec. Chose à la fois triste et consolante, ce que n’auraient pu faire tous les efforts des missionnaires anglicans, presbytériens et autres, chacun d’eux eût-il eu le zèle pieux d’un évêque Colenso, la puissance du travail y a réussi. Sous son influence, une société noire a pris naissance et se développe graduellement. Le noir a cela de particulier que, s’il semble incapable de s’élever par lui-même à la civilisation, il la comprend et la suit dès qu’elle lui est montrée, et c’est là le spectacle heureux qu’il a présenté dans l’Afrique australe. Loin de dépérir au contact de la civilisation, il s’engraisse, croît et multiplie. En vérité, plus on examine attentivement cette situation de l’Afrique australe, et plus on reste convaincu que tous les avantages en sont pour les indigènes. De quelque façon que les choses tournent, ils n’ont qu’à gagner. Si, contre toute vraisemblance, ils triomphent de leurs envahisseurs blancs, les voilà redevenus maîtres chez eux ; si au contraire, comme cela est plus certain, leur lutte actuelle a le dénoûment de toutes celles qui l’ont précédée, ils continueront à prospérer au voisinage de leurs vainqueurs et resteront l’élément prépondérant d’une société qui ne peut se défaire d’eux et qui, bon gré, mal gré, sera conduite à leur faire une part de plus en plus large dans ses préoccupations. Tout conspire en leur faveur, et de même que naguère les boers ont tiré les marrons du feu pour les Anglais, on peut dire que