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qui ne valent guère mieux les unes que les autres. C’est d’abord l’intelligence dont font preuve les indigènes de l’Afrique australe. On ne peut, dit-on, traiter comme des ilotes des hommes qui ont montré en plus d’un sens des aptitudes si marquées pour la civilisation. Nous avouons ne pas très bien saisir le rapport qui peut exister entre la condition d’ilote et l’exclusion du droit de suffrage. Il ne faut pas cependant que la domination actuelle du suffrage universel nous fasse perdre la mémoire de ce qui était tout récemment encore la loi politique des nations les plus démocratiques de l’Europe. Pour prendre l’exemple le plus probant, celui de la France, est-ce que sous la restauration et sous Louis-Philippe nos paysans et nos ouvriers n’étaient pas exclus du droit de suffrage par la loi constitutionnelle, et s’est-on jamais avisé de supposer qu’ils étaient ilotes parce qu’ils n’étaient ni éligibles ni électeurs ? En quoi par conséquent eût-ce été faire injure aux Cafres que de les laisser en l’état où étaient, il y a trente ans, nos paysans et nos ouvriers, qui sans doute n’étaient pas moins intelligens qu’eux et n’avaient pas donné moins de preuves de leur aptitude à la civilisation ? On objecte qu’ils sont le plus grand nombre, c’est ce qu’étaient aussi chez nous nos paysans et nos ouvriers, et d’ailleurs c’est précisément ce nombre qui par le danger qu’il présente justifiait leur exclusion. On objecte encore que les exclure eût été reconnaître l’existence d’un peuple distinct au sein de la colonie ; mais n’est-ce pas là la réalité même, et n’en a-t-on pas fait l’aveu lorsqu’on a permis aux indigènes de conserver leurs coutumes particulières, leur organisation sociale, leurs superstitions et leur polygamie ? Enfin on répond que cette mesure est sans danger, les indigènes n’ayant jusqu’à présent montré aucune inclination à exercer les droits politiques dont on les a gratifiés. Cependant, si les Cafres sont aussi intelligens qu’on les représente, il est difficile de croire qu’ils resteront longtemps sans comprendre la nature des armes politiques qu’on leur a mises entre les mains. Qu’ils sortent de cet état d’ignorance et d’indifférence où ils sommeillent aujourd’hui, et une majorité noire est non-seulement possible, mais certaine. Le cens, qui confère la qualité d’électeur en effet, a été fixé si bas par la loi constitutionnelle que tout travailleur peut aisément y atteindre. Quiconque peut prouver qu’il gagne un salaire de 25 livres sterling par an plus sa nourriture est inscrit de droit sur le registre électoral ; or le travail de la colonie étant en grande partie l’œuvre des indigènes, ion voit quelle masse d’électeurs noirs fournit cette seule circonstance. Et qu’on ne dise pas que, bien que plus nombreux que les blancs, ils se laisseront guider par eux, et voteront comme le leur demanderont leurs seigneurs de provenance européenne. Nous vivons dans un temps où les apprentissages se font vite, et