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En lisant les courtes annales de cette monarchie noire, il semble qu’on lise quelques épisodes de l’histoire des peuples du Turkestan ou de la Tartarie, voire même quelques chapitres de l’histoire ottomane des Bajazet et des Sélim. Voyez plutôt. Lorsque, dans les premières années de ce siècle, Napoléon tenait l’Europe entière sous sa domination, il ne se doutait guère qu’il avait dans l’Afrique du sud un émule du nom de Chaka, parvenu comme lui par le seul ascendant du génie et la seule énergie de la volonté. Ce Chaka, faisant de la tribu des Zoulous, qui jusqu’à lui n’avait eu qu’une importance secondaire, un instrument de conquête, dévora par son moyen toutes les peuplades voisines et établit sa domination des possessions portugaises de la baie de Lagoa au cœur du Natal, dont il chassa les habitans devant lui et qui depuis est resté peuplé de Zoulous. La famille, on le sait, est fatale aux souverains orientaux ; Chaka eut le tort de s’en souvenir trop tard. Il possédait un frère ambitieux du nom de Dingaan qu’il n’avait pas eu la précaution de faire tuer, et Dingaan, jugeant que cette imprudente étourderie lui créait un droit à régner, assassina le conquérant. C’est ce Dingaan que rencontrèrent les boers lorsqu’ils entrèrent dans Natal. Leur chef Pierre Retief, se tenant pour assuré après quelques pourparlers préliminaires qu’il obtiendrait du roi des Zoulous une concession de terres pour lui et ses compagnons, eut la simplicité de se fier à la parole de ce sauvage et de se rendre dans son camp ; il y fut assassiné au milieu d’une fête donnée traîtreusement en l’honneur des blancs. Cet exploit accompli, Dingaan se mit en devoir de détruire ces envahisseurs qui venaient lui disputer le pays de Natal, et il y était presque parvenu, bien qu’il eût été refoulé dans le Zoulouland proprement dit, lorsque les boers réussirent à le faire assassiner par ses sujets exaspérés de sa tyrannie. Ces sujets, qui, paraît-il, à ce moment-là avaient assez des souverains à main vigoureuse, élurent à sa place un troisième frère du nom de Panda, sorte d’imbécile d’humeur pacifique qui s’empressa de traiter avec les blancs, Claude après Caligula. Cependant Néron n’était pas loin, et c’est lui qui règne aujourd’hui sous le nom de Getywayo, fils de Panda le débonnaire, et neveu du grand Chaka et de Dingaan le féroce.

Digne de cet illustre sang, ce personnage ajoute aux vertus guerrières de ses ascendans une dissimulation patiente, qui a caché * jusqu’ici son véritable caractère, trompé la vigilance du gouvernement colonial et partagé l’opinion des blancs dans l’Afrique australe, les confians le voyant en beau, les pessimistes le voyant sous un jour détestable. Il paraît avoir merveilleusement compris la situation politique des colonies et la nature des divisions qui séparent les Anglais et les boers. Tant que la république du Transvaal a duré, Cetywayo a passé pour n’être pas hostile au gouvernement colonial.