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parfaitement conforme aux principes d’humanité que ses philanthropes ont fait triompher dans le monde entier. Non-seulement il a protégé les indigènes contre les boers, mais il leur a sacrifié ces derniers en toute occasion. Il a relevé les Hottentots et les Fingos de l’esclavage, sauvé de l’extermination le peuple des Basoutos, fondé des écoles cafres, répandu ses missionnaires dans toutes les tribus. Lorsque le chef zoulou Langalibalele fut, par un jugement très conforme à la légalité, mais regardé comme excessif, condamné à être transporté dans Robben Island, n’a-t-on pas vu l’Angleterre se prendre en sa faveur d’un de ces mouvemens de capricieuse humanité qui lui sont propres, et le gouvernement colonial n’a-t-il pas entouré ce vieux nègre malfaisant de toutes les joies domestiques qui pouvaient adoucir sa prison ? Cependant la politique a partout ses contradictions, et nous avons vu que celle du gouvernement colonial de l’Afrique australe n’en a jamais manqué. Or, il est dans cette histoire des guerres cafres un fait resté jusqu’à ce jour passablement obscur, et dont M. Trollope nous donne à mots peu couverts une explication trop curieuse et trop nouvelle pour que nous ne nous y arrêtions pas.

En 1857, sir George Grey étant gouverneur du Cap, — ce même éminent homme d’état que nous avons vu gouverneur en Nouvelle-Zélande, dont la prospérité est en partie son œuvre, et qui aujourd’hui dirige en qualité de premier ministre du parlement colonial le pays de ses préférences, — une prophétie singulière se répandit parmi les Cafres. « Ils devaient être, dans un temps prochain, restaurés dans leur ancienne gloire et rétablis dans leurs anciennes possessions par l’aide non des vivans, mais des morts. Leurs vieux guerriers reviendraient du monde invisible, et ils deviendraient tous beaux, jeunes et invincibles. Seulement, ils devaient avoir une grande foi. Ils trouveraient dans des cavernes des bestiaux aussi nombreux qu’ils pourraient le désirer, et de riches moissons se présenteraient devant eux lorsqu’ils en auraient besoin ; mais il fallait que, préalablement, ils tuassent tous leurs bestiaux, détruisissent tout leur blé, et qu’ils s’abstinssent de semer un seul grain. » Les Cafres suivirent ces conseils avec la foi parfaite d’Abraham sacrifiant son fils Isaac et la candeur des Troyens introduisant le cheval de bois dans les murs d’Ilion ; la conséquence en fut que cinquante mille d’entre eux moururent de faim, que la Cafrerie anglaise fut annexée peu de temps après, et que depuis ils ont à peine remué. D’où venait cette prophétie ? Jusqu’à présent, on avait cru qu’elle était née spontanément du désespoir patriotique de ces tribus que la guerre de 1850-52 avait éprouvées d’une cruelle manière, et la chose semblait d’autant plus probable que l’esprit de prophétie avait déjà joué un rôle dans cette guerre. Avec une