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armée ; elle avait à peu près contraint ses plus violens adversaires à s’avouer vaincus, à ajourner tout au moins leurs espérances ; elle pouvait être considérée comme définitivement fondée, et c’est alors, dans la pleine possession de l’autorité et de la force, quand elle avait eu raison de tous ses ennemis, c’est alors qu’elle avait affaire à un autre ennemi intérieur, multiple, insaisissable ! C’est alors qu’elle commençait à fléchir en quelque sorte sur elle-même pour finir bientôt par disparaître un jour d’hiver dans une échauffourée révolutionnaire destinée à rester l’étonnement de tout le monde, des vainqueurs autant que des vaincus. Que Berryer, ce jour-là, au premier moment, n’ait pas éprouvé quelque secret et amer plaisir à voir dans la révolution du 24 février 1848 la justification foudroyante de tout ce qu’il avait dit si souvent sur les faiblesses inévitables de la monarchie de juillet, je n’en voudrais répondre. Du moins il n’en triomphait pas. La veille, il était resté étranger à tout ce qui avait préparé et hâté la catastrophe ; il n’avait été ni des banquets agitateurs ni des manifestations organisées en plein Paris comme un prélude de sédition. Le lendemain, il ne se considérait pas comme un des vainqueurs. Il n’était pas de ces légitimistes aveuglés par une puérile passion de représaille qui dans la journée du 24 février 1848 ne voyaient que la revanche du 29 juillet 1830. Il avait assez de sagacité et de droiture dans l’esprit pour saisir aussitôt la signification redoutable d’un événement qui, en emportant ce qui restait de monarchie, laissait brusquement le pays en face du vide et livrait la société française à l’inconnu sous le nom de république.


IV

Cette révolution de 1848, œuvre d’une imprévoyance d’opposition et d’une défaillance de pouvoir, était en effet bien autre chose que la révolution de 1830. Elle ouvrait de bien autres perspectives. À cette civilisation libérale qui se déroulait depuis trente-quatre ans sous la forme de la monarchie constitutionnelle, elle substituait d’un seul coup l’ère des agitations indéfinies, des expériences orageuses, des convulsions intérieures, bientôt fatalement suivies des réactions à outrance. Elle déchaînait des passions, des forces, qui allaient placer la France désarmée d’institutions modératrices entre l’anarchie et la dictature. Elle inaugurait, en un mot, une vaste crise où tout se trouvait violemment changé, et les cadres de la politique, et la scène parlementaire, et les rapports des partis, et la position des hommes engagés comme Berryer dans la vie publique, bientôt