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correctionnel connaîtra des délits, quelle amende les punira ? Le Journal officiel du 23 mars nous l’apprend : « Des écrivains de mauvaise foi, auxquels seraient applicables en temps ordinaires les lois de droit commun sur la calomnie et l’outrage, seront immédiatement déférés au comité central de la garde nationale. » Or, nous rappelons que le susdit comité a condamné ou va condamner à mort Ganier d’Abin et Wilfrid de Fonvielle auxquels on n’avait absolument rien à reprocher. On peut juger, d’après cela, du sort que l’on réservait aux journalistes récalcitrans. Mais le lendemain même, 24 mars, le comité central donne une preuve irrécusable de sa logique et de sa bonne foi ; il éprouve le besoin de parler au peuple, de lui expliquer que jamais insurrection ne fut plus légitime que celle qui débuta, comme l’on sait, sur les buttes Montmartre. « Nous avons fait, sans coup férir, une révolution. C’était un devoir sacré : en voici les preuves. Le gouvernement de la défense nationale a rétabli l’état de siège tombé en désuétude et donné le commandement à Vinoy, qui s’est installé la menace à la bouche ; il a porté la main sur la liberté de la presse en supprimant six journaux. » Ce qu’ils disent et ce qu’ils font ne les gênent guère ; ils sont en contradiction flagrante avec les théories dont ils se repaissent, avec ce qu’ils appellent prétentieusement les principes, et, pendant que leur proclamation reproche au gouvernement de la défense nationale d’avoir « porté la main sur la liberté de la presse, » ils applaudissent dans leur conciliabule le citoyen Pompée Viard, fabricant de vernis, qui propose de punir sévèrement les journalistes hostiles aux droits du peuple et à l’exercice de la souveraineté ; « des mesures énergiques doivent être donc prises. » Cette proposition, d’autant plus redoutable qu’elle est vague, est adoptée sans opposition.

Ce n’étaient pas là de simples menaces, et bientôt on allait procéder à l’épuration de la presse parisienne. Le prétexte est trouvé : c’est celui derrière lequel se sont abrités de tous temps les violens, les faibles d’esprit, les vaniteux qui ne peuvent supporter la contradiction. Nous sommes en révolution, donc tout est permis : salus populi suprema lex. Plus tard, après la victoire, nous rétablirons les libertés que nous sommes obligés de supprimer aujourd’hui. Arthur Arnould leur dira : « C’est le raisonnement de tous les despotes ; » avec moins de naïveté, Arthur Arnould se serait aperçu que ses collègues du comité central et de la commune n’étaient et ne pouvaient être autre chose. On profite du premier engagement des insurgés contre les troupes françaises pour faire payer aux journaux la défaite que l’on a été fort témérairement chercher au rond-point des Bergères. Le 3 avril, Lissagaray, qui