Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortifier la pensée, la doctrine, le sentiment monarchiques ? Et la loi qui a aboli la commémoration du 21 janvier, quel est son effet sur la masse du peuple ? Et quand il y a quelques jours encore on saluait les survivans des gardes-françaises, quand on les félicitait d’avoir violé le commandement de leurs chefs pour se mêler dans la Bastille à l’insurrection du peuple, favorisait-on encore une fois la monarchie ou la république ? Et vous demandez maintenant que l’on vous soutienne contre des réalités que vous avez faites… »

Berryer ne se refusait pas le redoutable plaisir de triompher des embarras du régime nouveau, de lui réclamer les garanties de libéralisme et de dignité nationale qu’il avait promises, de le rappeler à la logique de sa naissance ; il ne se refusait pas l’avantage de mettre le régime de 1830 en contradiction avec lui-même dès qu’il faisait appel à des lois de restriction ou de répression, et à ceux qui lui criaient que sans ces lois il n’y avait pas de gouvernement possible, il répliquait brusquement : « Qui vous dit le contraire ? » Et comme on semblait voir quelque duplicité dans cet aveu, il reprenait aussitôt : « Oui, sans doute, il n’y a pas de gouvernement possible. Plus que vous, je suis convaincu de la réalité de vos embarras, je comprends vos efforts, je les ai prévus, et c’est pourquoi j’ai protesté contre ce que vous faisiez, contre le principe que vous adoptiez ; mais il est adopté, ce principe, adopté malgré moi, adopté pour être la loi du pays. Je vis sous la loi que vous m’avez faite, et il serait étrange que vous vinssiez me disputer les conséquences les plus naturelles, les plus immédiates de la loi que vous m’avez imposée… » — « Ministres, s’écriait-il un jour, vous pouvez vous proclamer les enfans de cette révolution, — il s’adressait à M. Thiers, — vous pouvez en avoir orgueil, vous pouvez ne pas douter de sa force, mais il faut payer sa dette ! La révolution a promis au pays, dans le développement de ses principes, une puissance nouvelle pour accroître son influence, sa dignité, son ascendant, son industrie, ses relations, sa domination au moins intellectuelle dans le monde : la révolution doit payer sa dette ! .. Vous nous devez toute la force promise au lieu de la force qui a été ôtée… » Cet ordre nouveau qu’il n’avait pas fait, il le mettait tour à tour en face de ses périls révolutionnaires et en face de ses engagemens, auxquels il ne pouvait manquer sans se désavouer.

S’il y avait une tactique dans ces procédés de combat, Berryer l’ennoblissait par le désintéressement de son opposition, par la liberté et l’impartialité d’esprit qu’il gardait jusque dans son ardeur. Il était évidemment sincère lorsqu’il cherchait le dédommagement de la force des traditions perdues dans la plénitude du gouvernement parlementaire où il retrouvait, avec le droit de prendre part aux affaires publiques, la dignité pour lui et pour son parti. Il