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toute seule devant la cour de Blois, et cet épisode, plus disgracieux en définitive pour le gouvernement que pour la victime, n’avait d’autre résultat que de mettre en toute lumière la loyauté du généreux accusé, qui d’ailleurs n’en garda jamais rancune.

Dix-huit mois plus tard, Berryer s’était rendu à Tœplitz, résidence de la petite cour des Bourbons exilés. Il avait été reçu avec une grâce affectueuse par le vieux roi Charles X, qui l’interrogeait sur l’état de la France, et à ce prince naïvement imbu de préjugés de race, il ne craignait pas de parler de la « nécessité du mouvement de 1789. » A une question qui lui était adressée sur la politique qui conviendrait à la royauté restaurée, il répondait : « Il faut respecter la charte et en développer les principes par un système plus large de lois électorales. — Ah ! dit le roi, vous me rappelez Cazalès quand il quitta l’assemblée et vint nous joindre au camp des émigrés. Nous lui demandâmes ce qu’il pensait qu’il y avait à faire, il répondit : Convoquer les états-généraux. » Berryer n’était pas Cazalès au camp des émigrés, c’était un brillant Français allant visiter un vieux roi malheureux pour rentrer le lendemain dans une France renouvelée et paisible. A la petite cour de Tœplitz comme à la petite métairie des Mesliers, il restait l’homme du droit, des moyens légaux et de la paix civile, de la patrie respectée ; il restait, selon le mot de M. Hyde de Neuville, l’homme « du temps et du pays. » C’est là ce qui l’a toujours distingué de ceux de ses amis du camp légitimiste, qui auraient tout sacrifié au passé. C’était sa force dans les luttes parlementaires qui s’ouvraient devant lui, dans cette position aussi délicate que difficile où il avait à se maintenir pendant des années, presque seul contre des adversaires victorieux, en plein monde de 1830.

Là il pouvait se déployer à l’aise, dans la liberté de son intelligente nature, avec l’originalité et les ressources d’un génie fait pour le combat. Il avait de singuliers avantages pour soutenir la guerre contre la révolution de juillet. Il avait l’avantage d’avoir commencé sa carrière par la défense des vaincus de l’empire contre les réactions de 1815. Il avait mis sa parole dans les affaires de justice, même en plaidant pour Lamennais, au service des libertés civiles et religieuses. Il n’avait été compromis ni dans les excès des partis ni dans la politique des divers ministères de la restauration. « J’ai gardé entière l’indépendance de ma vie, pouvait-il dire ; je n’ai pris envers mon pays aucune responsabilité dans des actes funestes pour lui. » Il n’avait aucune solidarité de cour ou de caste attachée à son nom : il n’était pas un Fitz-James ou un Dreux-Brézé. Rien ne le gênait, ni les souvenirs, ni le regret des faveurs perdues, ni les engagemens d’opinion, ni les obligations personnelles. Il était nouveau dans son rôle comme ses adversaires étaient nouveaux au