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certainement suffire à cette tâche laborieuse, difficile, de reprendre la campagne au lendemain d’une déroute accablante et de relever la fortune d’un parti qui venait de succomber sous le poids d’un coup d’état manqué ; il y a suffi pendant des années par la loyauté supérieure du caractère, par une habile et féconde activité, par la puissance de l’esprit sur tous les champs de bataille du parlement et du barreau, où il n’a cessé de grandir en combattant. Légitimiste, il l’a toujours été assurément, et c’est par lui que le légitimisme a pu faire encore une figure dans plus d’une journée ; mais il a été un légitimiste à sa manière, avec l’indépendance d’une nature supérieure, en ne demandant des armes qu’à la loi, à la discussion publique, aux fortifiantes excitations de la vie parlementaire, en restant lui-même vis-à-vis des amis comme vis-à-vis des ennemis. Il avait eu, surtout aux premiers temps, plus d’une difficulté à vaincre dans son propre camp, où régnaient des illusions, des préjugés, des passions qu’il ne partageait pas, et il avait l’art de rester fidèle à sa cause sans se prêter à des entraînemens ou à des chimères que sa raison désavouait.

Lorsqu’au mois de mai 1832 la duchesse de Berry, par la malheureuse inspiration d’un courage romanesque, allait à travers le midi de la France jusqu’en Vendée pour lever le drapeau de la guerre civile et jouer la fortune de la légitimité, c’est Berryer qui avait la mission de se rendre auprès de l’aventureuse princesse. Sous prétexte d’un procès à plaider en Bretagne, il arrivait à Nantes, et la nuit, mystérieusement, il était conduit, à travers les chemins creux, les taillis de la Vendée, jusqu’à la petite métairie des Mesliers où il se trouvait en face de l’héroïne d’un roman jacobite de Walter Scott. Que se proposait-il réellement dans ce voyage qu’il a plus d’une fois raconté lui-même avec émotion ? Il était le plénipotentiaire des têtes sages du parti, Hyde de Neuville, le duc de Fitz-James, Chateaubriand, qui avaient senti aussitôt comme lui le danger d’une telle entreprise. Il allait combattre de son accent le plus pathétique la guerre civile dans son foyer obscur, dans la chambre nue de cette petite métairie vendéenne, asile momentané de celle qui s’appelait « la régente du royaume. » Il allait porter le conseil de respecter le repos de la France, — et par une de ces méprises qui sont le phénomène des époques troublées, tandis qu’il allait plaider pour la paix publique au risque de soulever contre lui tous les chevaliers de la princesse errante, le gouvernement de son côté le traitait en complice d’insurrection ; on le faisait arrêter, on le conduisait de prison en prison jusqu’à une cour d’assises à Blois. Il n’aurait eu qu’à divulguer le secret de sa mission, il se croyait obligé par la délicatesse et l’honneur à ne rien dire qui pût ressembler à un désaveu d’une femme malheureuse. La vérité éclatait