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Il avait été, au moment du procès du roi, de ce petit nombre d’hommes courageux, débris du vieux barreau, qui s’étaient engagés à se prêter un mutuel appui si Louis XVI choisissait parmi eux un défenseur. Plus tard, au> plébiscite destinée consacrer l’avènement de l’empire, il était des deux cents avocats qui votaient non contre trois qui votaient oui ! Au milieu de la versatilité des événemens, M. Berryer père s’était fiait une règle de se dérober à toutes les fonctions, de garder son indépendance, de n’être en un mot qu’un avocat, et pendant la révolution comme avant la révolution, sous l’empire, sous la restauration elle-même, il est resté un des représentans les plus fidèles des traditions de son ordre. Berryer était le vrai fils de ce digne et sage père dont il avait reçu l’esprit avec les premières influences du foyer.

Sa jeunesse avait eu d’autres maîtres. Au moment où dans la France dégagée de la terreur tout commençait à renaître, il avait été placé dans la vieille maison de Juilly, reconstituée par les oratoriens. Il y avait trouvé des croyances religieuses éclairées, les traditions renouées des études classiques, le goût de l’antiquité et des lettres, une discipline grave et douce. Les discours de Berryer sont souvent des mémoires, disais-je. Il racontait le passé, il se peignait lui-même lorsque longtemps après, dans une séance du parlement, ayant à défendre les institutions religieuses, il se plaisait à évoquer une scène toute rayonnante de l’aube du siècle, cette journée de sa jeunesse où Bonaparte, brillant de la gloire consulaire, était allé visiter Juilly. « Il m’en souvient, s’écriait-il avec émotion, je vous demande pardon, je ne pensais pas m’abandonner ici. C’est un des touchans, des nobles souvenirs de mes p, mières années… Le vainqueur d’Italie vint à nos portes, à Dammartin, à une lieue de Juilly. Deux cent cinquante enfans rassemblés par douze ou quinze pères de l’oratoire furent au-devant du premier consul. Je vois encore cette belle figure, ces longs cheveux blancs, cette longue robe noire du père Auboin qui s’approche de lui : — Général, les martres qui ont formé Desaix, Casablanca et Muiron ont l’honneur de vous présenter leurs élèves. — Ils sont en bonnes mains, dit le vainqueur d’Italie. — Et nous qui savions sa gloire, il nous regardait comme pour nous encourager à respecter ces religieux qui nous avaient amenés auprès de lui ! .. » C’est là, dans ce double foyer de la maison de famille et de la maison des oratoriens de Juilly, qu’il avait grandi, ouvrant son esprit et ses regards d’adolescent à ce spectacle d’une société reconstituée, intérieurement pacifiée, couverte de gloire et déjà soumise à un maître. Il sortait du collège « au bruit du canon d’Iéna » avec une instruction généreuse, avec tous les dons d’une organisation privilégiée et la sève d’une nature aussi ardente que sincère.