Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agens. Montlosier songea alors à saisir l’opinion publique. Sous le titre des Effets de la violence et de la modération dans les affaires de France, il publia trois lettres adressées à Malouet (août 1787). « J’ai beau être démocrate à Londres, écrivait-il, ce qui me donne peu de faveur, je n’en suis pas moins aristocrate à Paris, ce qui prouve que j’ai de la fortune. Vous, monsieur, que les difficultés ne rebutent pas, ne pourriez-vous pas trouver moyen de changer le chef-lieu de chacune de mes réputations, et au lieu d’être aristocrate à Paris et démocrate à Londres, que je fusse réputé aristocrate à Londres et démocrate à Paris… Au commencement de la révolution, on avait tort d’être modéré, et cependant nous étions forts. Aujourd’hui on n’a pas un homme, et on ne veut composer avec qui que ce soit. Ah ! que n’étiez-vous violens alors, ou que n’êtes-vous modérés aujourd’hui !.. Dans les premiers temps de la révolution, tous les honnêtes gens du royaume se fussent réunis à des mesures vigoureuses, si, dirigées seulement vers la conservation et vers la liberté, on ne leur avait pas laissé soupçonner d’autres intentions. J’admire l’obstination de ceux qu’on dit ne vouloir de la monarchie française que si elle leur restitue les mêmes places, les mêmes jouissances, les mêmes faveurs… » Tel était le ton de ces lettres ; bien loin de calmer les fureurs, elles les portèrent à l’extrême. Cazalès, qui ne désapprouvait pas au fond l’auteur, s’écria dans le salon de Burke : Je ne sais pas pourquoi Montlosier s’est mis à écrire sur la modération. C’est l’homme le plus violent que je connaisse. — Et Rivarol écrivit à l’un de ses amis, furieux contre cette publication : « Vous ne connaissez pas Montlosier ; il aime la sagesse avec folie et la modération avec transport. »


V.

Les esprits modérés et bien équilibrés n’auront jamais derrière eux une armée. Sauf quelques momens heureux, ils sont en politique condamnés à l’isolement. On parlait beaucoup dans le camp ennemi du comité constitutionnel de Berne et du comité constitutionnel de Londres. Le comité de Berne, c’était Mallet Du Pan ; le comité de Londres, c’était Malouet. Dans une lettre adressée à Mallet (8 mai 1796), Malouet appréciait le jour même de sa publication la brochure de Montlosier. « Nous sommes ici bien dispersés, nous sommes bien dépourvus de crédit, de moyens. Quelques conversations oiseuses qui n’aboutissent à rien, voilà tous mes travaux. Montlosier a voulu à toute force jeter une bombe ! Il vient de publier des lettres qu’il m’a adressées sur la modération dans les