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principe et dans son application ; elle repose soie L’idée même d’une ; nation, considérée non comme un assemblage d’individus, mais comme un tout vivant ; elle se prête aux manifestations les plus diverses, sous toutes les formes de gouvernement. Le peuple est souverain quand il fait ou défait son gouvernement à la pluralité des suffrages ; la nation est souveraine quand elle s’incarne dans son gouvernement, quand elle vit de sa vie, quand elle se développe sans entraves sous sa direction et sous ses lois. La souveraineté du peuple n’est quelquefois qu’une apparence, car elle peut subir la carte forcée ; sous une forme plus voilée, la souveraineté nationale trouve plus sûrement sa réalisation. La nation anglaise se sent plus véritablement souveraine sous sa constitution plusieurs fois séculaire, qu’elle modifie insensiblement à son image, que si elle s’était donné, par une série de plébiscites, des constitutions fabriquées de toutes pièces. Macaulay remarque que le despotisme brutal d’Henri VIII et d’Elisabeth blessait moins l’attachement des Anglais à leurs libertés traditionnelles que ne fit quelques années plus tard le gouvernement des Stuarts, plus respectueux en apparence des formes parlementaires, parce que le premier s’appuyait sur le sentiment national, tandis que le second ne cherchait qu’à lui faire violence. Non pas que les institutions libérales ou démocratiques soient indifférentes. L’exercice du droit de suffrage sera toujours le moyen le plus sûr de connaître la volonté nationale, et le suffrage universel, quand il est éclairé et libre, en est l’expression la plus parfaite. Les institutions qui appellent le peuple entier à faire acte de souveraineté par lui-même ou par ses représentans sont très légitimes, et il n’en est pas de plus désirables quand elles sont appropriées aux mœurs et à l’état social d’une nation. L’erreur est d’en faire le principe général de tout gouvernement et d’y voir la forme adéquate et nécessaire de la souveraineté nationale. Ces institutions ne sont que l’idéal auquel tendent tous les états modernes. M. Bluntschli le reconnaît lui-même, et il est d’accord en cela avec l’éloquent philosophe qui a défendu contre lui et contre la plupart des publicistes contemporains la théorie du contrat social, car M. Fouillée place le contrat, non pas à l’origine, mais au terme de l’évolution des états vers un idéal d’entière liberté et de pure démocratie.

M. Bluntschli accepterait l’expression de souveraineté nationale pourvu que l’on ne considérât la nation que comme « l’ensemble politiquement organisé, où la tête occupe le premier rang, où chaque membre a sa place naturelle et sa fonction. » En d’autres termes, une nation organisée en monarchie ne serait souveraine qu’avec son prince et sous l’autorité de son prince. Il est difficile de concilier cette restriction avec le « droit naturel » qu’a toute nation, d’après