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Comment aurait-on pu parler raison à cette société ! Le cabinet de Londres, bien que plus éclairé que les autres, en subissait de plus en plus les préventions. Montlosier, Malouet, le chevalier de Panat, Lally et quelques autres se réunissaient, mais ils ne jouissaient d’aucun crédit. Les censures, les déclamations, les malveillances du parti royaliste ne leur en imposaient pas. Ils ne voyaient pas de fin possible à la révolution par la guerre extérieure, ils pensaient que les anciennes idées constitutionnelles n’avaient d’avenir que dans le mauvais gouvernement de la convention. Ils s’efforçaient dès lors dans les conversations qu’ils pouvaient avoir avec les amis des princes de leur persuader qu’il fallait bien se garder de laisser apercevoir ou craindre une autre tyrannie après un changement de gouvernement.

« Toutes les prétentions de l’ancienne aristocratie, écrivait Malouet, toutes les menaces, tous les projets de vengeance et les goûts passionnés pour l’ancien régime, étaient autant d’absurdités qui nous étaient tout espoir de retour. Nous étions trop pénétrés, mes amis et moi, de toutes ces inconséquences, pour ne pas les combattre hautement. »

Que de persistance dans les haines contre ces honnêtes et libéraux esprits ! Lally-Tollendal fut une des victimes les plus éprouvées par les humiliations.

Il avait un des premiers émigré en Angleterre. Dès 1792, Burke l’avait personnellement attaqué. Ce fut comme un signal. Après les revers de la coalition en Champagne, l’abbé d’Andrefel, vicaire général de l’archevêque de Bordeaux, fit, pour employer les expressions de Montlosier, le vœu, comme Jephté, d’immoler le premier monarchien dont le nom se présenterait à sa vue. Ce fut le nom de Lally. Aussitôt, dans le pamphlet le plus violent, il est accusé de tous les malheurs de la France et, comme tel, voué à l’opprobre public.

Après l’abbé d’Andrefel, ce fut le tour de M. Ferrand ; après M. Ferrand, l’abbé Talbert ; après l’abbé Talbert, le chevalier de Guer ; enfin Pelletier. Lally se défendait de toutes ses forces. C’était surtout du côté de Burke qu’il cherchait à repousser les traits. « Telle est ma destinée, lui disait-il, que plus je sais vous respecter, plus je dois vous combattre, et qu’il me faut voir un adversaire dans un homme que ses principes et ses vertus m’eussent fait regarder comme mon défenseur naturel, si un autre que lui m’eût attaqué. »

Burke avait vanté, comme le seul mérite de Lally, le mérite du repentir. — « Je n’en ai aucun, répondit-il, car je ne me repens pas du tout. » — Il ajoutait : « Vous avez été, monsieur, trompé