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La confiance dans l’avenir était sans bornes. Si par hasard l’on doutait d’une restauration immédiate, on était déclaré jacobin. C’était toujours l’histoire de ces deux vieux évêques qui se promenaient au printemps dans le parc Saint-James : « Monseigneur, disait l’un, croyez-vous que nous soyons en France au mois de juin ? — Mais, monseigneur, répondait l’autre après avoir mûrement réfléchi, je n’y vois pas d’inconvénient. »

Les événemens, avec leur allure précipitée, modifièrent rapidement l’opinion anglaise. L’appui que prêtait aux principes de la révolution l’éloquence de Fox ne suffisait plus. La joie qu’il avait témoignée à lord Holland au lendemain des échecs de l’armée prussienne, en septembre 1792, joie supérieure à celle que lui avaient apportée Saratoga et York-Town, n’avait plus autant d’échos. La perte de la bataille de Jemmapes, la reddition de Mayence, l’invasion de la Belgique, avaient alarmé au plus haut point les intérêts commerciaux. Le 1er décembre 1792, une proclamation de George III annonçait le danger que courait la constitution, et, malgré les observations de Fox, le parlement s’identifiait au discours de la couronne. Le défi que, le 21 janvier, la convention jeta à l’Europe fut l’occasion décisive de la rupture. Chauvelin, envoyé en ambassade par de Lessart, recevait l’ordre de quitter Londres dans les vingt-quatre heures. Huit jours après, sur le rapport de Brissot, la déclaration de guerre au roi George et au stathouder de Hollande était adoptée à l’unanimité ; dès ce moment, la guerre prenait en Angleterre un caractère national, et le cabinet de Saint-James marchait résolument à son but, la prépondérance maritime.

C’est dans ces circonstances que Montlosier arriva à Londres.

Sa première visite fut pour Burke. L’ancien ami de Fox était devenu l’idole des émigrés. Malheureusement le parti violent l’avait accaparé. Son fils Richard avait été envoyé en mission à Coblentz, auprès de Monsieur et du comte d’Artois. Ses instructions avaient été inspirées par des intrigans, qui firent commettre au ministère anglais les plus graves erreurs dans le jugement des affaires de France. Ainsi le jeune négociateur avait conseillé de ne rien céder, de ne pas même négocier ; surtout pas de rapprochement avec La Fayette : tel était le dernier mot. Son père cependant avait jeté un regard perspicace sur l’avenir, bien avant la guerre.

On lit dans les Réminiscences de Charles Butler qu’un jour, avant cette mission, Burke s’exprimant en présence de quelques émigrés sur les effets de la révolution, un d’eux lui dit : « Mais enfin, monsieur, quand retournerons-nous en France ? — Jamais, répondit-il, messieurs ; de fausses espérances ne sont pas une monnaie que j’aie dans mon tiroir. — Mais, dit Charles Butler, qui était présent, le