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Le plus ou moins de richesse ou d’indigence aurait semé des divisions dans ce milieu, si les opinions n’y avaient déjà établi des classes. L’émigration pauvre s’était fixée dans les quartiers de l’est de Londres ; tandis que vers l’ouest s’étaient installés les familles de cour, les évêques et les planteurs. Suivant le flux et le reflux de la fortune, on s’éloignait ou l’on se rapprochait des quartiers aristocratiques. Toute cette société brillante et légère vivait encore de chimères ou de haines.

C’était le clergé catholique qui surtout avait grossi les rangs de l’émigration française en Angleterre. Plus de quatre mille ecclésiastiques y avaient cherché asile. Les mémoires de l’abbé Grégoire nous apprennent qu’environ moitié de ces prêtres vivait à Londres, dans les quartiers de Summers-Town et Saint-George-Field, s’occupant de l’enseignement ou de travaux manuels, fabriquant des cartons, des chapeaux de paille, des fleurs artificielles ; d’autres étaient disséminés dans divers villages jusque dans le pays de Galles. Le clergé anglican les avait accueillis avec humanité. L’université d’Oxford avait fait imprimer, à l’usage des prêtres français, quatre mille exemplaires du Nouveau Testament conforme à l’édition de Barbou. Comment passer sous silence les traits de bienfaisance de la classe ouvrière de Londres qui nous sont révélés dans une lettre écrite en 1793 par l’évêque de Léon ?

Deux ecclésiastiques s’adressaient pour leurs provisions à une pauvre marchande de légumes ; plusieurs fois elle leur donna ce qu’ils voulaient acheter. La voyant obstinée à refuser le prix de sa marchandise et craignant d’abuser d’une pareille libéralité, ils voulurent un jour faire leurs provisions ailleurs ; la bonne femme se désola, vint se plaindre de ne plus les revoir, et jamais ne consentit à recevoir leur argent. D’autres marchandaient un jour du poisson et se retiraient parce qu’ils le trouvaient trop cher ; la marchande toute déguenillée courut après eux, et les força d’accepter gratuitement ce qu’ils avaient voulu payer.

Quelques prêtres, demandant leur chemin dans les rues de Londres, se voient entourés par les femmes du peuple. Ce rassemblement leur inspire quelques inquiétudes, elles s’en aperçoivent, s’empressent de les rassurer et leur offrent à l’envi des pièces de monnaie.

L’évêque de Léon passait dans la rue avec son grand vicaire ; tout à coup celui-ci sent quelqu’un qui le presse : il se retourne ; c’était un porteur de lait qui lui avait mis un penny dans la main et continuait son chemin sans vouloir être reconnu.

Il n’y a que Mme de Montagut qui à Bruxelles, en août 1793, ait donné de pareils exemples de charité.