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concession même. La trière, suivant moi, n’a été qu’une pentécontore à couverte, et il est inutile d’introduire des complications dans sa charpente pour la mettre d’accord avec les textes que j’ai cités. Hérodote, Thucydide, Xénophon sont gens du métier ; j’ai dans leurs renseignemens et dans leurs expressions toute confiance. Pharnabaze me raconterait le combat de Cnide que je ne m’engagerais pas à prendre à la lettre ce qu’il m’en dirait. S’il chargeait un peintre de transmettre à la postérité le souvenir d’une aussi glorieuse journée, je n’en croirais pas aveuglément cet artiste, à moins qu’il ne fût Athénien. Quant aux sculpteurs et aux numismates, je leur laisserais volontiers les coudées franches ; leur rôle n’est pas de représenter exactement les objets. Il y a de la science héraldique dans tout ce qui se confie au bronze ou à la pierre. Les vases de terre cuite ne sont pas tenus à plus de fidélité. Je dois trop aux érudits, je leur ai fait trop d’emprunts, pour oser parler avec légèreté de leurs veilles ; mais, de grâce, qu’ils examinent à nouveau, s’ils en ont le loisir, les textes sur lesquels leur opinion jusqu’ici s’est basée. Je leur soumets humblement mes doutes, mon sentiment même ; si je me trompe, qu’on me ramène aux carrières ; je veux dire aux vaisseaux modernes sur lesquels ma vie s’est passée[1].

Et la marine de l’avenir, n’en dirai-je donc rien en finissant ? Ce n’est pas par de simples échappées que j’ai pu justifier suffisamment mon titre. La marine de l’avenir, ce n’est pas, veuillez me prêter sur ce point quelque attention, tel ou tel système d’architecture navale. La marine de l’avenir, c’est, dans ma pensée, celle qui peut ouvrir aux plus grandes armées la route des capitales. Vous faut-il du temps pour réaliser un dessein aussi ambitieux ? prenez-en ! prenez un siècle, prenez-en même deux, rien ne presse ; mais soyez certains que le jour où un nouveau Napoléon paraîtra sur la scène, on en viendra Là. En attendant, pourquoi ne ferions-nous pas un simple essai, un essai sur une échelle infiniment petite ? Le problème est facile à poser. Voici un régiment, un escadron, une batterie. Transportez-les, débarquez-les, rembarquez-les sur la première plage venue. Quand vous aurez réussi pour un régiment, pour un escadron, pour une batterie, la flottille ne sera pas construite, elle sera fondée. Vous en posséderez le type. Si ce type est introuvable, vous aurez du moins l’avantage de le savoir.

Est-ce à dire que je veuille réduire la marine moderne à cette poussière navale ? Si l’on interprétait ainsi ma pensée, je me serais

  1. Un décret de la Convention nationale portant la date du 27 novembre 1792 m’est signalé par une obligeante correspondance de Bruxelles. Ce décret décerne une récompense au sieur Babu « pour la découverte des trirèmes des anciens. » La question serait donc vidée, s’il fallait croire la grande assemblée, en cette question si controversée, infaillible ; mais la Convention avait fort à faire au mois de novembre 1792, et le sieur Babu peut fort bien avoir abusé de son innocence.