Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/878

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la production, le plus puissant, le plus efficace, c’est l’homme lui-même, et c’est aussi celui sur lequel l’homme lui-même a le plus de puissance.

« Les avantages naturels, dit M. Mill[1], sont trop évidens pour être passés sous silence ; mais l’expérience a démontré que, de même que la fortune ou le rang pour un individu, ces avantages ne sont rien pour les nations, en comparaison de ce qu’il est en leur puissance d’obtenir par leurs capacités. Ni aujourd’hui, ni autrefois, les nations les mieux dotées en climat et en fertilité de sol n’ont été les plus puissantes et les plus riches. Dans les contrées fertiles, la vie humaine est soutenue à si peu de frais que les pauvres éprouvent rarement la souffrance de l’inquiétude du lendemain, et dans ces climats, où l’existence est déjà un plaisir, le luxe qu’ils préfèrent n’est autre chose que le repos… Le succès dans la production, comme toute autre espèce de succès, dépend plus des qualités des agens humains que des circonstances au milieu desquelles ils fonctionnent, et ce sont les difficultés et non les facilités qui entretiennent l’énergie mentale et physique. Le berceau des tribus qui ont envahi et vaincu les autres, et les ont forcées à travailler pour les vainqueurs, a presque toujours été placé au milieu des difficultés. »

« Jetez les yeux sur les zones tempérées, dit M. Thiers[2], et voyez la petite place que nous occupons sur la surface du globe ; il y a 15 à 16 degrés de latitude, 45 de longitude. Toute l’Europe, — tournez une mappemonde dans vos mains, — toute l’Europe n’est rien par rapport au reste du monde. Eh bien, qu’est-ce que Dieu lui avait donné ? Des chênes, des sapins, des pâturages, à peine des céréales, du bétail fort en taille, médiocre en beauté, et, au contraire, il avait donné à la Chine la soie, à l’Inde le coton, au Thibet les plus belles races de moutons, à l’Arabie le cheval, à l’Amérique les métaux précieux et les bois les plus admirables. En un mot, il avait tout prodigué à ces autres parties du monde, mais en Europe, qu’y avait-il donc de supérieur ? One seule chose : l’homme, l’homme ! Tout était inférieur, en Europe, excepté l’homme, parce que les contrées tempérées sont les plus propres au développement de l’organisation humaine. Dans les pays froids, l’homme s’engourdit ; dans les pays chauds, il s’endort dans la mollesse. Là seulement l’homme pouvait être grand, fier, ambitieux. Aussi est-il allé tout prendre dans ces contrées si bien dotées sous le rapport matériel ; il a pris à la Chine la soie, à l’Inde le coton, au Thibet le mouton, à l’Arabie le cheval, à l’Amérique les métaux, les bois ;

  1. Principes d’économie politique, t, I, p. 121.
  2. Discussion sur le régime commercial de la France, p. 112.