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dangers de la faiblesse, de l’imprévoyance et de l’indécision sont les mêmes à toutes les époques[1].


Duc DE BROGLIE (ALBERT).


Dans l’une des dernières et des plus vives discussions de notre dernière assemblée, les défenseurs clairsemés du laissez faire et du laissez passer ont été rudoyés plus que de coutume. On leur a dit en propres termes[2] que leurs principes étaient sots, que leur science n’était pas une science, qu’ils n’étaient eux-mêmes que de pauvres littérateurs, et, qui pis est, des littérateurs fort ennuyeux[3]. Sans rendre précisément coup sur coup, ils auraient pu répondre que l’appréciation des principes est libre sans doute, mais libre apparemment de part et d’autre, qu’à tout prendre il n’est pire science que la pure routine, et que les nombreux écrits de leurs adversaires composent une littérature, si littérature il y a, qui n’est pas non plus très riche en agrémens.

Ils pouvaient ajouter que, l’étude de l’économie politique n’étant pas un passe-temps, quand elle ennuie, il n’est pas toujours sûr que le tort soit de son côté. Les questions qu’elle entreprend d’éclaircir sont sérieuses et difficiles. La question de la liberté du commerce en particulier devient chaque jour plus importante, à mesure que les rapports entre les peuples s’étendent et se diversifient, que leurs intérêts se croisent et se compliquent, que le monde entier devient de plus en plus, grâce à la vapeur et à la télégraphie, un marché ouvert à tout le monde ; il n’y a pas dix ans qu’en Angleterre la solution donnée inopinément à cette question a changé la face du pays, transporté, pour un temps, la prépondérance des campagnes aux villes, confondu les partis, déplacé les influences, suspendu le jeu régulier des institutions politiques. Il n’y a pas quatre ans que, du nord au midi, toute l’Allemagne a failli courir aux armes, ceux-ci pour, ceux-là contre l’extension du Zollverein. Tant que les nations les plus éclairées en seront là, tant que les hommes d’état, les hommes de théorie, les hommes du métier ne seront pas sur ce point plus près de s’entendre, il sera naturel et même sage d’en préoccuper sans cesse les esprits, au risque de mettre quelque peu leur patience à l’épreuve, et personne n’aura droit, sur un tel sujet, d’imposer silence à personne.

J’use donc du droit qui m’appartient, comme à tout autre, en reprenant la question dont il s’agit en sous-œuvre. Je m’efforcerai

  1. Les pages qu’on va lire font partie d’un volume que M. le duc de Broglie publiera prochainement chez Calmann Lévy, et qui contient le recueil des écrits économiques de son illustre père.
  2. Discours de M. Thiers, 27 juin 1851, p. 72.
  3. Ibid., p. 25.