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« L’intendance disposant de quantité considérable de denrées et liquides, l’intendant général arrête : Toute réquisition de vins et de denrées est formellement interdite dans l’intérieur de l’enceinte. L’intendant général : May. » C’est peine perdue, on continue à dévaliser les cabarets et les boutiques de charcutier. Varlin, qui le premier, au comité central, dans la séance du 21 mars, a proposé ce mode expéditif de se nourrir et de s’habiller, Varlin est enrayé du développement que prennent les réquisitions ; lui aussi il intervient et sans plus de succès que les autres : « A chaque instant des réquisitions sont faites chez des fournisseurs d’habillement et d’équipement militaires par ordre de chefs de bataillon, de légion ou autres. Il en résulte de graves inconvéniens contre lesquels l’intendance a déjà pris plusieurs arrêtés qu’elle se voit obligée de rappeler aux citoyens qui se laissent ainsi aller à des excès de zèle où obéissent à des ordres irréguliers. Toutes mesures sont prises pour satisfaire promptement et dans les conditions les plus économiques aux besoins de la garde nationale. En conséquence, le délégué à l’intendance, membre de la commune, arrête : Article unique. Toutes réquisitions d’effets d’habillement et d’équipement appartenant aux fournisseurs sont absolument interdites. E. Varlin. » Ce ne fut qu’un arrêté de plus, et on n’en réquisitionna pas une ceinture, un sabre, une aiguillette de moins. Les malheureux fournisseurs passèrent leur temps entre l’Hôtel de Ville et le ministère des finances, repoussés ici, rebuffés là, regardant piteusement leur paperasse inutile, et s’estimant parfois heureux de n’être point conduits au poste.

Un grand fabricant d’instrumens de chirurgie reçoit, par voie de réquisition, ordre d’avoir à envoyer à l’Hôtel de Ville douze trousses de chirurgien. On spécifie que chaque trousse sera payée 75 fr. ; une d’elles cependant, destinée au médecin en chef de l’Hôtel de Ville, doit valoir trois fois autant et être une trousse Richet, ainsi appelée à cause de l’éminent praticien qui lui a donné son nom. Le fabricant était peu satisfait de la commande, car il savait à quoi s’en tenir sur la solvabilité du signataire de la réquisition. Il se résigna, fit un paquet des douze trousses et les porta lui-même à l’Hôtel de Ville. Le médecin en chef, absent, était remplacé par un carabin qui jouait le rôle d’aide-major, mais n’avait, sous aucun prétexte, qualité pour payer. Le fabricant ne lâchait pas ses trousses ; il voulut voir un membre de la commune, afin d’en exiger un mandat d’ordonnancement. Ce jour-là, précisément, la commune recevait les délégués de Lyon et n’était point visible. L’aide-major jura que la facture serait acquittée dès le lendemain ; de guerre lasse, le fabricant céda. Il avait remarqué que les fonctions d’huissier étaient remplies par un grand turco, à demi mulâtre, qui ouvrait