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avaient voulu assister à la cérémonie. Il avait été ensuite nommé nonce extraordinaire à la diète de Francfort. Pour cela même on lui avait donné soixante mille écus romains. Il ne s’était pas contenté du don du pape. L’évêque de Spire lui avait fourni ses équipages, l’électeur de Bavière le linge de table et la cuisine. Il était arrivé de cette manière avec quarante domestiques de livrée. Il tenait une maison excellente où il recevait à merveille tout le monde, excepté les Français. » Tel était l’abbé Maury dans l’exil. Nous connaissons déjà sa conduite à Bruxelles vis-à-vis de Montlosier. On ne s’étonnera pas qu’il n’ait eu aucune envie de le revoir.

Mallet Du Pan avait enfin obtenu une entrevue avec les princes. Il était fort mécontent et paraissait navré de tout ce qui se préparait. Le marquis de Bouille, ayant osé soutenir en plein conseil que le moment des sacrifices était arrivé et que l’on se trompait en croyant que la noblesse pût rentrer dans tous ses privilèges, avait été relégué le plus poliment possible auprès de l’électeur de Mayence. L’abbé de Calonne au contraire était bien en cour, parce qu’ayant entendu dire que le roi de Prusse arrivait avec cinquante mille hommes, il s’était écrié : Que veut-il faire de tout cela ? Quinze cents gentilshommes suffiront pour faire la contre-révolution.

Les habiles croyaient qu’il y avait intérêt à déprécier dans tous les cabinets les forces de la révolution, de répandre à tout prix la confiance, afin d’armer d’abord les souverains, qui une fois engagés ne se dessaisiraient plus de leur entreprise. Montlosier leur répondait que la révolution était une immense puissance avec laquelle il ne fallait pas se jouer ; qu’avec les moyens moraux tirés des passions, elle était un ennemi terrible.

Pressé un jour de s’expliquer sur les forces nécessaires pour dégager le roi : « Quarante mille hommes me paraissent suffire, si les princes sont à la tête de l’armée, le maréchal de Broglie commandant l’aile droite, le maréchal de Castries l’aile gauche, M. de Bouillé au centre. Mais alors il ne faut pas tarder à s’allier avec tout le parti constitutionnel en France, envoyer un agent à La Fayette et à Luckner, pour les remercier de leur fidélité et leur demander un plan. » — « Que pense Cazalès de tout cela ? interrompit Mallet Du Pan, qui assistait à cette conversation.

— Je l’ai peu vu, dit Montlosier, pendant tout mon séjour à Coblentz. C’était en quelque sorte convenu entre nous. Il avait bien assez de défaveur ; je n’avais que faire de la renforcer de la mienne. Je n’aurais pas été chez lui deux fois de suite que cela aurait été un événement. Mais je savais par des intermédiaires qu’il pensait comme moi. Il allait même plus loin. Il disait qu’il fallait trois cent mille hommes. Mais moi, quelque mauvaise humeur que je pusse