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de l’avenir, lorsque, arrivé en vue des bois qui bordaient l’horizon, on lui dit que ces bois étaient en France. Passer en larmes la frontière de la patrie lui fit un effet qu’il ne put rendre. Il était là, suivant son expression, comme Falkland dans l’année de Charles Ier

Montlosier ne pensait pas autrement. Il fut une des figures les plus originales de l’émigration, quittant de temps à autre le camp pour courir les bibliothèques du pays, tantôt à Mayence, tantôt sur le Rhin, tantôt dans les bois, avec ses compagnons de misère, jurant à la fois contre Calonne et les jacobins, lisant, admirant et contant le tout à Mallet Du Pan dans des lettres qui nous ont été en partie conservées.

Ces lettres témoignent de la confiance que les constitutionnels avaient fondée sur l’intervention de Mallet Du Pan auprès des princes. Ce n’était pas chose facile d’arriver jusqu’à eux, quand on ne partageait pas leurs préjugés ou leurs passions. De tout leur entourage, l’homme qui montra le plus d’élévation dans le caractère et dont la sagesse, la modération, ne se démentirent jamais dans le cours de la révolution, fut le maréchal de Castries.

Les efforts de Mallet Du Pan pour essayer d’une transaction entre Louis XVI et les chefs du parti jacobin sont trop connus pour que nous tentions d’en faire l’objet spécial de cette étude ; mais des documens nouveaux les éclairent d’un jour plus complet.

Mallet avait été appelé (en 1792) au milieu des fêtes du couronnement de l’empereur François. M. de Castries lui fit savoir que les princes l’invitaient à se rendre à Coblentz sous le nom de Fournier, marchand de toiles. Il avait à communiquer un projet de manifeste et avait prévenu Montlosier qu’il désirait ne pas le manquer à son passage. Son arrivée fut un événement. On aurait bien voulu lui faire quelque avanie, on n’osa pas. Le plan qu’on eut alors à discuter était proposé par La Fayette. C’était précisément de ce côté que le parti royaliste continuait à porter toutes ses craintes. Les propositions, que Bertrand de Molleville a textuellement transcrites dans ses mémoires, furent écartées. Il n’y avait aucun moyen de former des espérances. Le marquis de Laqueuille, un des compatriotes de Montlosier, chaque fois qu’il le rencontrait lui décochait ce trait : On ne compose pas avec des factieux.

Il avait rejoint Mallet Du Pan à Francfort. Le hasard un matin lui fit rencontrer aux portes de la ville un carrosse accompagné d’une grande suite. C’était l’abbé Maury, de retour de Rome. Les princes l’avaient fort recommandé au pape, aux cardinaux et à Mesdames de France. Ces recommandations avaient eu leur effet. Le pape avait commencé par le nommer archevêque de Thèbes. « Il avait reçu, nous apprend Montlosier, l’huile sainte du cardinal Zélada. Mesdames