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nos princes ne feront pas mieux. Vous avez du courage, on n’en veut pas ; vous avez des vues sages, on en veut encore moins. De cette manière, vous serez écarté de tout et employé à rien. — Mon ami, répondait Montlosier, relativement au dénoûment final de l’entreprise, j’ai les mêmes craintes que vous. Relativement à ma conduite, elle est commandée. Ni vous, ni moi, ni qui que ce soit, ne pouvons prévoir au juste les événemens. Ils peuvent être tels qu’ils éclairent l’aveuglement et commandent à la raison, — et puis j’ai dans la noblesse d’Auvergne quelques bons camarades. Au surplus, donnez-moi un ordre du roi, j’obéirai. » C’est avec cette résignation exempte d’illusions que Montlosier avait rejoint les émigrés de sa province.

Encore que son arrivée fût annoncée, elle avait causé un peu d’embarras. On ne lui reprochait pas seulement le système des deux chambres, ce qui était déjà un crime ; on avait écrit de Paris qu’il était associé au club des Feuillans et qu’il en avait été nommé président. Pendant une courte absence à Cologne, où il était allé remettre au maréchal de Castries une lettre de Malouet et une autre de Duport, lettres qui n’avaient eu aucun succès, les gentilshommes d’Auvergne hésitèrent sur son admission dans leurs rangs. On convint d’une assemblée générale où il serait appelé. On le pria de donner des explications sur ses opinions et ses intentions.

Il répondit que ses opinions avaient été tellement manifestées pendant trois ans à l’assemblée constituante que les rappeler était inutile. « Relativement à l’état présent et futur de la France, ajouta-t-il, s’il plaît aux princes de m’interroger, je leur dirai avec plaisir ce que je sais et ce que je pense. Quant à mes intentions, je suis venu comme simple soldat m’associer à mes camarades et combattre avec eux pour le roi et la patrie. »

On vota sur cette déclaration et, à l’exception de deux ou trois voix, Montlosier fut admis. Il n’en fut pas moins obligé le lendemain de se battre en duel avec le chevalier d’Ambly, qui critiquait son admission en termes plus que désobligeans.

Chateaubriand raconte que pareille scène s’était répétée pour lui et avait failli lui faire rebrousser chemin. À lui aussi on avait objecté qu’il arrivait quand la victoire était décidée ; qu’on n’avait pas besoin de lui. Heureusement il avait rencontré son cousin Armand, qui l’avait pris sous sa protection, avait assemblé les Bretons et plaidé sa cause. Après explications, l’affaire s’était arrangée, et Chateaubriand, avec Atala et René dans son havresac, avait été admis à servir. Dès le lendemain, il avait reçu ordre de marcher sur Thionville par un temps affreux. Il chantait O Richard, ô mon roi, en cheminant au milieu de la pluie et de la boue. Mais il eut la révélation