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homme, son arrivée à Paris, sa vie au milieu de la société nouvelle. Cette note explique mieux que je ne le saurais faire comment M. de Rémusat a aimé et épousé Mlle Claire de Vergennes :

« La société d’Aix, ville de noblesse et de parlement, était assez brillante. Mon père y vécut beaucoup dans le monde. Il avait une figure agréable, une certaine finesse dans l’esprit, de la gaîté, des manières douces et polies, une galanterie assez distinguée. Il y chercha et y obtint les succès qu’un jeune homme peut le plus désirer. Cependant il s’occupa de son état qu’il aimait, et il épousa Mlle de Sannes, fille du procureur général de sa compagnie (1783). Ce mariage fut de courte durée, et donna naissance à une petite fille qui, je crois, mourut en naissant, et que sa mère suivit de près.

« La révolution éclata. Les cours souveraines furent supprimées. Le remboursement de leurs charges fut pour elles une assez grande affaire, et pour cette grande affaire la cour des aides députa à Paris. Mon père fut un de ces délégués. Il m’a souvent dit qu’il eut alors occasion de voir pour son affaire M. de Mirabeau, député d’Aix, et, malgré ses préventions de parlementaire, il fut charmé de sa politesse un peu pompeuse. Jamais il ne m’a raconté en détail la manière dont il vivait. J’ignore encore quelle circonstance le conduisit chez mon grand-père Vergennes. Seul et inconnu dans Paris, il y passa sans inquiétude personnelle les mauvaises années de la révolution. La société n’existait plus. Son commerce n’en fut que plus agréable et même plus utile à ma grand’mère (Mme de Vergennes) au milieu de ses anxiétés, et bientôt de ses malheurs. Mon père m’a souvent dit que mon grand-père était un homme assez ordinaire, mais il apprécia bientôt ma grand’mère, qui prit de son côté un certain goût pour lui. Ma grand’mère était une femme raisonnable, sage, sans illusions, sans préjugés, sans entraînement, défiante de tout ce qui était exagéré, détestant l’affectation, mais touchée des qualités solides, des sentimens vrais, et préservée par la clairvoyance d’un esprit pénétrant, positif et moqueur, de tout ce qui n’était ni prudent, ni moral. Son esprit ne fut jamais la dupe de son cœur, mais, ayant un peu souffert de quelques négligences d’un mari à qui elle était supérieure, elle avait du penchant à prendre l’inclination et le choix pour la règle des mariages.

« Lors donc qu’après la mort de mon grand-père un décret enjoignit aux nobles de quitter Paris, elle se retira à Saint-Gratien dans la vallée de Montmorency avec ses deux filles, Claire et Alix, et permit à mon père de la suivre. Sa présence leur était précieuse. Mon père était d’une humeur égale, d’un caractère facile, attentif et soigneux pour ceux qu’il aimait. Il avait du goût pour la vie intime et calme, pour la campagne, pour la retraite, et son esprit