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sont comparables aux plus intéressantes du Louvre ou des Uffizi. C’est là, sur ces feuillets couverts jusqu’aux bords de figures entremêlées, d’esquisses interrompues, de projets entreheurtés et souvent surchargés d’écritures, vers, prières, ou notes d’atelier, que se révèle, dans toute son exubérance et son activité, cette intelligence prodigieuse où la décision du vouloir accompagne et sert toujours la variété du désir. Les croquis de Michel-Ange ne semblent confus qu’à cause de la multiplicité des pensées qui s’y agitent, car chaque pensée, même non poursuivie, s’y montre nette et ferme, dans une forme résolue et arrêtée, qui serait définitive pour tout autre que pour cet infatigable chercheur. Lorsque le maître formidable s’apaise et s’adoucit, il prend le crayon et la sanguine, si fondante et si moelleuse ; il reste alors grand dans le charme comme il était grand dans la force et il assoit sur les genoux d’Adam une Ève élancée et robuste qui porte dans son allure plus encore que dans sa coiffure la marque indélébile attachée à toutes ses créations.

Léonard de Vinci et Raphaël sont, ce semble, moins bien représentés que Michel-Ange. Le Louvre, il est vrai, possède de leurs mains des morceaux si éclatans qu’on aurait peine à trouver les semblables dans des collections particulières. Cependant tous les croquis, si alertes et si vivans, de Léonard (des Soldats, des Victoires, des Hommes nus), toutes ses études d’enfans et de draperies, renouvellent en nous de délicieuses émotions. Le Buste de Guerrier est de sa façon la plus fière, la plus rigide et la plus riche ; le Portrait de femme, sœur de la Joconde et mère de notre Prud’hon, peut-être un peu restauré, est d’une ampleur et d’une beauté incontestables, et nous avons là encore la première conception de l’Adoration des Mages du musée de Florence. Si c’est dans leurs dessins, plus que dans leurs peintures, que peut être devinée la pensée mobile et créatrice des vrais maîtres, c’est aussi dans leurs dessins, librement exécutés dans l’atelier, sans souci de la vente ni de l’effet à produire, qu’on saisit le mieux les traces de leur filiation intellectuelle. Certaine façon d’attaquer le contour, de mêler les hachures, d’accentuer les cassures des plis ou les saillies de la forme, se transmet de génération en génération et révèle la communauté d’origine. C’est dans ses dessins que Léonard dit clairement : « J’ai passé chez Verocchio. » C’est dans ses dessins que Raphaël s’avoue le disciple successif, mais rapidement émancipé, de Perugin, de Fra Bartholomeo et de tous les grands Florentins dont il s’approprie en bloc l’héritage. Rien de plus curieux à suivre, chez lui, que cette assimilation sympathique de tout ce qui l’entoure, jusqu’au jour bien proche où il attaque le dessin, soit à la plume, soit au crayon, sans hésitation, sans système, sans manière, avec une aisance abondante et une souplesse puissante qui le signalent entre tous. Nul ne dit plus franchement et plus simplement ce qu’il veut dire,