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au canal thoracique. C’est un jeune étudiant français, Jean Pecquet, de Dieppe, qui reconnaît que les chylifères nés par de fines ramifications dans l’intestin se rendent à une sorte de poche placée en avant de la colonne vertébrale ; que de là le chyle passe dans le canal d’Eustachi pour déboucher dans une grosse veine près du cœur.

On crut alors avoir créé une physiologie nouvelle, on mena les obsèques solennelles du foie, devenu inutile, puisque les veines ne portent plus les alimens dans son tissu. Ces vaisseaux chylifères, ce sont les vaisseaux absorbans ; les alimens passent par eux dans le sang. Le seul produit de la digestion, c’est le chyle, lequel est seul apte à entretenir la vie du sang. Ce qui contribue encore à augmenter l’importance des vaisseaux absorbans, ce sont les découvertes de Rudbeck et de Bartholin (1650, 1651). Alors l’enthousiasme est général ; il y a des vaisseaux absorbans : ce sont les chylifères et les lymphatiques, et le sang ne joue plus aucun rôle dans l’alimentation ou dans l’absorption. Il faut attendre près de deux siècles pour qu’enfin Magendie rende aux veines leur pouvoir absorbant (1820).

Tel a été le sort d’une des plus grandes découvertes de la science de la vie. Eustachi trouve le canal thoracique rempli d’une sérosité blanche. Aselli montre qu’il y a dans le mésentère des vaisseaux remplis de chyle blanc. Pecquet découvre le réservoir du chyle et prouve que les vaisseaux chylifères se rendent par là dans le canal d’Eustachi et dans le système veineux. Rudbeck et Bartholin font voir qu’il y a dans tout l’organisme une infinité de vaisseaux blancs, ramenant toujours le chyle ou la lymphe dans le canal d’Eustachi.

Pour découvrir la circulation du sang, comme pour découvrir les lymphatiques, il a fallu l’effort de plusieurs hommes de génie : Servet, Césalpin, Harvey, Eustachi, Aselli, Pecquet, Rudbeck. Dans les sciences d’observation, la vérité n’est pas comme un éclair qui éblouit, c’est un voile qui se détache par lambeaux. À ceux qui ont consacré leur vie, leurs labeurs, à nous faire connaître une petite part de cette vérité, il faut rendre l’honneur qui leur est dû, et, tout en admirant les conquêtes de la science d’aujourd’hui, ne pas méconnaître celles que nous ont léguées nos ancêtres.


Ch. Richet.