Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/664

Cette page a été validée par deux contributeurs.

méthodes et cour suprême des membres de l’enseignement libre. D’un coup de baguette, voilà nos pédagogues transformés en magistrats, rendant la justice, la rendant sans appel, et, on peut le dire, sans contradiction sérieuse, puisque aux termes de l’article 3 du projet, l’enseignement libre n’est plus représenté que par quatre membres, nommés par le président de la république sur la proposition du ministre. Singulière contradiction, en vérité, que ce « conseil d’études » devenant tout à coup compétent dans des matières contentieuses et conservant dans ses attributions une prérogative dont les anciens conseils de l’instruction publique n’usaient qu’avec le concours des membres de la cour de cassation et du conseil d’état ! Quel que soit le mérite des hommes qui seront appelés à siéger dans le futur conseil, nous doutons qu’ils puissent suffire aux exigences de ce double rôle pédagogique et judiciaire.

L’ancien conseil en tout cas offrait d’autres garanties de bonne justice et d’impartialité. L’enseignement libre y comptait quatre représentans, qui n’étaient pas nommés par le président de la république ; c’était le conseil lui-même qui les élisait. Il trouvait d’ailleurs une absolue sécurité dans la présence des membres de l’épiscopat, ses défenseurs et ses représentans naturels. Dans le projet de M. Jules Ferry, tous ces élémens incompétens étant éliminés, quelle sera la situation de l’enseignement libre ? Celle d’un prévenu qui serait jugé par la partie concurrente. Sans doute cette partie concurrente s’efforcera d’être impartiale ; elle ne voudra pas abuser de sa force. L’Université compte encore, grâce à Dieu, trop d’esprits élevés pour que l’enseignement libre ait à redouter de sa part une malveillance systématique ou des dénis de justice. Mais pourquoi la mettre dans le cas de voir ses arrêts frappés de suspicion légitime ? Pourquoi l’exposer à des défiances et à des récriminations inévitables ? Pourquoi méconnaître ce principe tutélaire de droit que « nul ne peut être juge et partie dans sa propre cause ? » On s’étonne qu’un homme aussi versé dans les questions juridiques que doit l’être M. Ferry n’ait pas vu tout ce qu’il y avait d’énorme à placer ainsi les établissemens privés sous la juridiction souveraine et sans contrôle efficace des fonctionnaires et des membres de l’instruction publique. M. Thiers était meilleur jurisconsulte, lorsqu’il qualifiait d’inique une telle prétention. Il était surtout plus libéral et plus juste, car ce qui fait le plus défaut à ces projets, c’est l’esprit de justice et le sentiment de la vraie liberté ; c’est par là surtout qu’ils manquent et qu’ils ont si vivement froissé l’opinion publique. Le législateur de 1850, ceux de 1873 et de 1875 ont pu se tromper sur quelques points, ils ont pu, nous le montrerons, aller plus loin qu’il ne convenait,