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maîtres du gouvernement et tenaient la famille royale à demi captive. Ils menaçaient déjà les Bourbons, les derniers princes du sang qu’une parenté bien lointaine rattachât aux Valois. Une royauté ferme et assurée de l’avenir aurait pu faire peut-être vivre les deux religions en paix, mais la royauté des Valois, devenue précaire, n’était plus que le jouet et l’instrument d’ambitions et de passions rivales. La religion voilait la politique, la politique la religion. Puisque les Guise étaient les champions de la vieille foi, Condé et son frère, sans attenter contre la reine mère ni contre le roi, devaient essayer de les lier à la cause calviniste qu’ils avaient embrassée, et les âmes du XVIe siècle ne séparaient pas volontiers la persuasion de la force. Il fallait arracher le roi aux Guise, forcer Catherine, qui semblait hésitante, à se prononcer pour le prêche et contre la messe. La religion du peuple était toujours dans presque toute la France l’ancienne religion ; mais le peuple devait suivre la religion des princes. Soubise était ami intime de La Renaudie, le chef de la conjuration qui avait été ourdie pour soustraire la reine mère et le jeune roi au gouvernement des Guise. La Renaudie avait confié à Soubise, dès le mois de septembre 1559, le projet qui fut seulement exécuté au mois de mars 1560. Soubise était à la cour au moment où l’exécution approchait; des avertissemens étaient donnés tous les jours à la reine mère, qui tenait Soubise en très grande faveur; celui-ci garda toujours son secret; il voulut quitter la cour, on l’en empêcha. Il était retenu pour le service de la reine et surveillé de près. On voulait lui arracher le nom du lieu où se cachait La Renaudie : « Quand je le saurois, j’aimerois mieux estre mort que de le dire. — Mais pourquoy? lui dist la royne ; vous ne devez rien craindre, pour luy, car, s’il n’a rien fait contre le roy, il ne sera point puny ; — a quoi le sieur de Soubise luy respondit : — Je scai bien qu’on trouvera qu’il a faict contre le roy, puisqu’il a fait contre ceulx de Guise, car aujourd’huy en France c’est estre criminel de lèse-majesté d’avoir fait contre eulx, d’autant qu’en effet ce sont eulx qui sont rois ; — de sorte que jamais on ne sçeut tirer autre chose de sa bouche. »

Il offrit ensuite à la reine d’aller quérir La Renaudie et de faire ce qu’il pourrait pour le remettre entre ses mains, si M. de Guise voulait prendre sur son honneur qu’il pouvait honorablement faire ce que la reine lui demandait. Guise ne voulut point le prendre sur son honneur.

On sait que la conjuration n’aboutit qu’à un massacre; les petites bandes qui s’acheminaient vers Amboise furent attaquées avant de pouvoir se réunir. La Renaudie fut tué, un de ses serviteurs nommé La Bigne subit plusieurs interrogatoires, il ne prononça jamais le nom de Soubise : on fit cacher La Bigne derrière une tapisserie