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plus haut ; — c’est qu’il fallait que la langue, les sources de l’inspiration, la société même, se renouvelassent dans leur fond, pour que de nouvelles destinées s’ouvrissent à la poésie nationale. Ce fut là vraiment le grand service que la renaissance rendit à la littérature, et c’est par là que la réforme de Ronsard et de la pléiade n’a pas complètement avorté. Quand il voulut refondre le vocabulaire, il échoua ; quand il prétendit reconstruire la syntaxe à l’image du latin et du grec, il échoua ; mais quand il voulut « pétrarquiser » et « pindariser, » il ouvrit les voies à Malherbe, son ennemi, mais son héritier cependant, et par Malherbe à la grande poésie du XVIIe siècle. Il releva la poésie des trouvères de ce fonds de vulgarité dans lequel elle avait fini par s’embourber et se salir. Il apprit aux lettres françaises la décence, la dignité, la noblesse. Il crut que la langue était capable d’aborder les grands sujets, capable de chanter autre chose que le gai savoir et le martyre d’amour, autre chose que les mésaventures d’un bourgeois qui trompe sa femme ou les joies d’une commère qui goberge son amant, autre chose enfin que les Braies du Cordelier ou le Dit de la Vieille Truande. Et si Boileau dans son Art poétique s’est montré sévère, j’oserais presque dire injuste, pour quelqu’un, ce n’est pas pour les prédécesseurs de Villon, c’est pour Ronsard et son école. Ils ont failli peut-être ou gauchi dans l’exécution : la leçon du moins n’a pas été perdue. C’est toujours pour une littérature un pas difficile à franchir que de s’élever en poésie d’une plate imitation de la vie journalière à la peinture de la vie universelle, comme de s’élever en prose de la constatation du fait et de l’expression des vérités d’expérience vulgaire à la traduction des idées générales, si difficile en vérité, qu’on ne voit pas qu’aucune littérature, sauf la grecque, ait pu le faire d’elle-même, par ses propres forces, sans le secours d’un modèle. Le modèle qui manquait à la littérature du moyen âge, la renaissance le retrouva. Mieux encore, elle réussit, selon la belle expression de Du Bellay, à l’imiter si bien « que de le convertir en sang et nourriture ; n et c’est pourquoi, comme.la prose française ne date que de Rabelais, d’Amyot et de Montaigne, ainsi la poésie ne compte que de Ronsard et de ses disciples.


IV

Est-ce à dire que, si quelques débris de la littérature du moyen âge méritaient encore d’être sauvés de la ruine et de survivre ou plutôt de renaître sous une forme nouvelle, un coupable dédain du XVIe et du XVIIe siècle les aient ensevelis dans l’ombre et condamnés à l’éternel oubli ? Ce serait une trop grande erreur