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par son autorité pouvait donner force de loi aux édits de tolérance.

Dans le désarroi général qui suivit le crime de Ravaillac, Sully perdit la tête et s’enferma d’abord à l’Arsenal ; il envoya un messager à Rohan pour lui mander de venir en toute hâte ; il en dépêcha un second pour lui dire de retourner à l’armée. Rohan ne parut donc pas à la cour pendant les premiers temps qui suivirent la mort du roi. Sous la tente et pendant les lenteurs du siège de Juliers, il trouva le temps d’écrire son Discours politique sur la mort du roi. Il garda toute sa vie l’habitude de ces « discours, » dont quelques-uns seulement nous sont parvenus, sorte de mémoires ou de confidences qu’il se faisait à lui-même.

Le « Discours » sur Henri IV a de fort belles parties. « Si jamais j’ai eu sujet de joindre mes regrets avec ceux de la France, c’est à la mort malheureuse d’Henri IV, pleine de tristesse et d’accidens funestes pour nous, et cependant qui peut être estimée pour son regard et, selon le monde, heureuse… Depuis son avènement au royaume, il a employé huit années à le remettre à son obéissance, lesquelles, quoique pénibles, ont été les plus heureuses de sa vie, car, augmentant sa réputation, il augmentait son état. Le vrai heur d’un prince magnanime ne consiste pas à posséder longuement un grand empire qui ne lui serve qu’à se plonger dans les voluptés, mais bien d’un petit à en faire un grand et à contenter non son corps, mais son courage. L’on dort souvent plus mal parmi les délices sur de bons matelas que sur des gabions, et il n’y a de pareil repos que celui qui s’acquiert avec beaucoup de peine. »

Il faut citer encore ces lignes vraiment admirables, où la langue conserve encore toute la saveur du XVIe siècle et où parle une âme bonne, fidèle et vraiment française :

« Je regrette en la perte de notre invincible roi celle de la France. Je pleure sa personne, je regrette l’occasion perdue, et soupire, du profond de mon cœur, la façon de sa mort. L’expérience nous fera connaître en peu de temps le sujet légitime que nous avons de le pleurer et regretter. Le peuple frémit déjà et semble prévoir son malheur. Les villes font garde comme si elles attendaient le siège. La noblesse cherche sa sûreté parmi les plus relevés de son corps : mais elle les trouve tous désunis, et il y a toute occasion de crainte et nulle apparence de sûreté. Bref, il ne faut pas être Français, ou regretter la perte que la France a faite de son bonheur. Je pleure en sa personne sa courtoisie, sa familiarité, sa bonne humeur, sa douce conversation. L’honneur qu’il me faisait, la bonne chère dont il me favorisait, l’entrée qu’il me donnait en ses lieux plus privés, m’obligent, non-seulement à le pleurer, mais aussi à ne me plus aimer où j’avais accoutumé de le voir. Je plains la plus belle et glorieuse entreprise dont on ait jamais ouï parler… occasion que