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reçu avec beaucoup de courtoisie par la reine Elisabeth. En Écosse, le roi Jacques, le traitant en cousin, lui demanda d’être parrain d’un enfant qui lui naissait et qui devait s’appeler plus tard Charles Ier. Rohan voit dans Jacques celui qui a mission de réduire « toute cette belle isle de la Grande-Bretagne sous un même Dieu, une même foi, une même loi, un même roi. » Il vante, avec un enthousiasme un peu juvénile, « la façon de vivre politique et particulière du roi d’Écosse, ses mœurs, ses actions, l’excellence de son esprit, son savoir et son éloquence. »

La relation de voyage finit par une suite de ces parallèles auxquels on se plaisait autrefois, et qui rappellent les parallèles de Plutarque ; Rohan compare l’Allemagne à l’Italie, la France à l’Angleterre, l’Écosse à la Bohême, la république de Venise à la république des Pays-Bas. Un penchant secret l’entraîne vers la Hollande et vers Venise, deux républiques aristocratiques ; il admire surtout la Hollande, parce qu’elle est guerrière, parce qu’elle est un des boulevards de sa foi. Venise n’emploie que des mercenaires et « les armes auxiliaires ou mercenaires sont aussi infidèles que les naturelles sont fidèles. » Venise est la plus heureuse ; la Hollande est toujours menacée d’un des plus puissans princes du monde, mais ce péril même la grandit à ses yeux.

L’aristocratie française lui semble plus fortunée que l’anglaise « tant parce que celle-ci paie taille comme le peuple, qu’aussi pour la rigueur de justice qui est si ordinairement exercée contre eux, qu’il y en a qui tiennent à beaucoup d’honneur et prennent la grandeur de leur maison par le nombre de leurs prédécesseurs qui ont eu la tête tranchée, au lieu que cela est fort rare parmi nous. » Richelieu n’avait pas encore tenu le pouvoir quand Rohan écrivait ces lignes, et l’on voit que le jeune prince avait vu la cour d’Henri IV, quand il vante « les privilèges de la noblesse en France, sa liberté, la familiarité dont le roi en use envers elle, au lieu de la superstitieuse révérence que les Anglais rendent à leur roi. » Il est sévère pour la nation française « tenue fort courageuse, fort clémente, fort civile et fort spirituelle : vertus qui sont combattues de grande légèreté, inconstance, insolence ; vanité et outrecuidance. » Il l’est encore plus pour les Anglais : « Ils sont cruels, vindicatifs, superbes, gens qui s’offensent aisément et pardonnent difficilement ; qui en somme (je parle de la plupart) ont pour patron l’Italie ; mais comme n’ayant pas tant d’esprit, n’ont pas si bonne grâce au prix d’eux, à déguiser leurs mauvaises conceptions. » Ce journal montre en somme un jeune prince sérieux, né pour le commandement, soucieux de connaître le fort et le faible des états, amoureux surtout de gloire militaire ; il l’adresse à sa mère, comme pour témoigner qu’il a profité de ses leçons et cherché à se rendre digne d’elle ; il y