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Il avait songé un moment à pousser jusqu’en Orient. Les huguenots étaient des politiques et s’occupaient volontiers du Grand Turc ; Coligny avait en 1566 envoyé une ambassade à Constantinople et le Grand Sultan Soliman avait recherché son amitié. Rohan dit qu’il avait projeté d’aller voir l’empire des Turcs, « non par superstition, comme la plupart de ceux qui, faisant ce voyage, y vont seulement pour voir Jérusalem. » Il dut se contenter de se promener dans le pays de la chrétienté ; il décrit le gouvernement de Strasbourg, avec ses ammeisters roturiers, ses statmeisters nobles et ses cinq conseils. Il n’y a rien encore chez lui qui sente le républicain : « Je n’ai, dit-il, pris la peine de décrire ce bizarre ordre de république que par bizarrerie aussi, et non pour approuver cet état populaire. Tout ce que j’en ai le mieux aimé, c’est la bonne chère qu’on m’y a faite, et tout ce que je veux que ma mémoire en réserve, c’est le souvenir de plusieurs belles choses que j’y ai vues, qui seraient autant dignes d’un grand roi que telle populace est indigne d’elles. » Il s’étonne que les Strasbourgeois n’aient point de canon de batterie : « Leur raison tient fort du roturier ; car, à ce qu’ils disent, ils ne veulent attaquer personne, mais seulement se défendre. »

Rohan visita à Heidelberg l’électeur palatin, à Mayence l’électeur ecclésiastique, à Stuttgart le duc de Wurtemberg, à Munich le duc de Bavière. Il entra en Italie par le Tyrol, « se réjouissant de sortir de la « petite barbarie et buvette universelle. » Il vit Padoue, Venise, « un des cabinets des merveilles du monde, » où il demeura un mois ; du château de Milan il dit : « C’est la plus accomplie forteresse que j’aie jamais vue, n’y manquant rien, à mon jugement, sinon que la garnison n’est pas française. » Pavie lui arrache un soupir, et il s’écrie en songeant à « Monsieur de Bourbon, par qui le roi François fut pris et défait, » que « la nation française ne pouvait être vaincue que par elle-même. »

Toute la relation du voyage d’Italie sent à la fois l’écolier ignorant qui passe sur les chemins de l’antiquité et le gentilhomme qui cherche d’anciens champs de bataille français. Il y a un tour plus original dans la relation du voyage d’Allemagne et de Hollande. ce Lequel pays, dit-il en parlant de l’Allemagne, encore qu’il soit le seul qui reste sujet à l’empire, je le trouve le plus libre de l’Europe. Car, outre toutes les villes et républiques qui en effet ne doivent que ce qu’elles veulent audit empire, les princes ont une espèce de liberté, parce qu’ils ne rendent respect ni obéissance qu’en ce qu’il leur plaît à l’empereur. » Mais Rohan se plaît surtout aux Pays-Bas, particulièrement en Hollande. Il s’étend avec de grands détails sur les villes de ce pays, qui lui semble une merveille. Amsterdam le séduit autant que Venise. De Hollande il passa en Angleterre ; il fut