derniers retranchemens, il eut recours à la force pour étouffer les voix de ses adversaires. L’opinion publique ne pouvait pardonner à l’Ami des hommes, au philanthrope autrefois populaire, de donner un démenti si éclatant à ses anciennes opinions. Il lui était permis moins qu’à tout autre d’abuser de son crédit auprès des ministres pour faire intervenir l’autorité royale dans ses querelles de famille. De quel droit ce réformateur, qui avait tant écrit sur les abus de la société, invoquait-il à son profit le plus criant des abus de l’ancien régime ? La lettre de cachet pour raisons de famille, dont la magistrature n’avait jamais accepté le principe, eût dû révolter une conscience aussi éclairée que celle du marquis. Il ne se justifia point de l’avoir employée en la désapprouvant. Il ne peut être question ici de le disculper de cette faute sur laquelle il ne se faisait point d’illusion. Il ne sera peut-être pas sans intérêt cependant d’examiner les circonstances qui ont pu troubler son jugement et l’entraîner à des actes si contraires à ses principes.
Qu’on se représente cet administrateur chimérique, qui a englouti beaucoup d’argent dans des entreprises malheureuses, qui a consenti aux plus grands sacrifices pour l’établissement de ses enfans, qui ne parvient à équilibrer son budget qu’à force d’industrie, apprenant tout à coup que son fils aîné, déjà marié, vient de contracter en quinze mois près de 200,000 francs de dettes, et que sa femme, liguée avec sa troisième fille, lui intente un procès qui le ruinera si elle le gagne. Il y eut là, dans cette existence si traversée, une de ces crises douloureuses dont on croit ne pouvoir sortir que par des moyens extrêmes. Il entra dès lors dans une période de luttes où il se crut tout permis contre des adversaires sans scrupules. Son premier mouvement fut un accès de fureur contre Mirabeau. « Mieux vaudrait, écrivait-il au bailli, pour notre repos momentané, écraser ce mauvais fils d’une mauvaise mère. » L’équité oblige ici à reconnaître que Mirabeau ne négligea rien pour pousser à bout un père au désespoir. Condamné par ordre du roi à résider avec sa femme au château de Mirabeau, il fait argent de tout, coupe les bois et vend les meubles ; envoyé en résidence à Manosque, il rompt son ban, maltraite un gentilhomme, est décrété de prise de corps, tombe sous le coup d’un procès criminel, et serait condamné si une nouvelle lettre de cachet ne le faisait enfermer au château d’If, d’où on le transféra au château de Joux, près Pontarlier. On connaît le scandale de ses relations avec Mme de Monnier, leur fuite et leur départ pour la Hollande. Pendant ce temps, la marquise, qui était brouillée avec son fils, qui n’avait point voulu figurer dans son contrat de mariage et qui refusait même de répondre à ses lettres, se rapproche de lui pour continuer sa campagne contre son mari avec un auxiliaire de plus, de nouvelles armes et de nouveaux