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sang chez les Mirabeau que le plus sage d’entre eux, l’honnête bailli, commence par des excès. Admis dès l’enfance dans l’ordre de Malte et dans la marine royale avant l’âge de treize ans, il ne passait pas huit jours de l’année hors de la prison, « et sitôt qu’il voyait le jour, dit son frère, il courait se perdre d’eau-de-vie, et de là tomber sur le corps de tout ce qu’il trouvait en son chemin jusqu’à ce qu’on l’abattît et le portât en prison. » Personne ne pouvait l’arrêter ; ce qui le distingue de la plupart des siens, c’est qu’il s’arrêta tout à coup de lui-même. Il eut sur eux l’avantage d’être jeté tout jeune au plus fort de l’action, trempé par la rude discipline de la mer, condamné à des travaux, exposé à des périls où se dépensa sans s’user la fougue de sa jeunesse. A vingt-trois ans, il avait déjà fait une longue croisière en Amérique et commandé la mousqueterie d’un bâtiment de guerre dans un engagement contre une escadre anglaise ; à vingt-sept ans, il prenait part à une grande bataille navale et y recevait une blessure au pied ; à vingt-huit ans, une nouvelle blessure, beaucoup plus grave que la première, le faisait tomber entre les mains des Anglais et le retenait trois mois au lit. Nommé capitaine de vaisseau à trente-cinq ans, il trouvait, -l’année suivante, dans les fonctions de gouverneur de la Guadeloupe le plus noble emploi d’une activité toujours jeune, toujours exubérante.

La pensée dominante du bailli de Mirabeau fut d’appliquer au gouvernement de la colonie ces idées d’humanité et de justice qui font tant d’honneur à la philosophie française du XVIIIe siècle, et qui pénétraient alors dans toutes les classes de la société. Parmi les gentilshommes qui recueillaient, même sans le vouloir, les enseignemens de la philosophie, et que tourmentait le besoin de réformes, il y en eut peu que l’élévation naturelle de leurs sentimens rendissent plus accessibles aux idées nouvelles que le bailli et son frère. Le sens profond de l’humanité qui éclate dans les discours du grand orateur, la chaleur de cœur avec laquelle il s’intéresse aux misères humaines, lui viennent de sa famille, au même titre que l’héritage des passions violentes et déréglées. Les lettres que le gouverneur de la Guadeloupe écrit au marquis de Mirabeau semblent inspirées, à certains momens, par l’esprit même de la révolution. L’insolence et la cruauté des blancs à l’égard des nègres révoltent tous ses instincts généreux. Le préjugé de la couleur, si puissant alors aux colonies et qui a duré si longtemps chez les Anglo-Saxons, n’existe pas pour lui. A ses yeux, un nègre est un homme aussi digne, de vivre et d’obtenir justice qu’un blanc. Pour comprendre ce qu’il y a de nouveau et de courageux dans une opinion de ce genre publiquement exprimée, confirmée d’ailleurs par des actes, il faut se rappeler qu’avant l’arrivée du bailli de