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M. de Loménie nous donne un portrait très nouveau et très attachant du bailli, que l’on connaissait moins que son frère et qui gagne à être connu. C’est le meilleur, le plus droit, le plus sensé des Mirabeau du xviiie siècle, quoiqu’il soit, lui aussi, incapable de contenir à certaines heures la fougue de son tempérament et d’assouplir la fierté hautaine de son caractère. Né pour jouer les premiers rôles, il reste au second rang, malgré son énergie, son application et la supériorité de son esprit ; — non que les occasions lui aient manqué, — mais parce qu’il ne se résigne jamais à aider les événemens. Disons tout de suite à son honneur qu’il vécut dans un temps où l’on ne pouvait guère arriver au pouvoir que par des moyens bas et que son âme fière et loyale n’eut même pas la tentation de les employer. Il n’en servit pas moins bien son pays sans se faire illusion sur la faiblesse de ceux qui en dirigeaient les destinées.

Toutes les publications qui viennent de se succéder sur le règne de Louis XV, et qui nous font pénétrer plus avant dans les intrigues de la politique française au xviiie siècle, la vie du dauphin écrite par M. Emmanuel de Broglie, l’ouvrage de M. le duc de Broglie, intitulé le Secret du roi, les Mémoires du cardinal de Bernis, les extraits du journal de Montcalm donnés par M. de Bonnechose, les deux volumes de M. de Loménie aboutissent à des conclusions accablantes contre le gouvernement de cette époque. L’inertie et la frivolité d’un pouvoir sans dignité paralysent les plus nobles efforts, les plus beaux dévoûmens, de grands talens et de grandes vertus. La société française est encore riche en hommes de mérite et de cœur, aux armées, sur mer, dans les administrations publiques ; mais on les sacrifie, on les abandonne dans les pays lointains, où ils soutiennent l’honneur du drapeau, on fait échec aux négociations déjà si difficiles de la diplomatie officielle par les menées équivoques d’une diplomatie occulte, on inflige à de braves gens l’humiliation dangereuse de servir sous des chefs incapables et reconnus comme tels, déjà ridiculisés par la cour avant d’être chansonnés par les soldats. C’est le temps où nos fautes consolident la monarchie prussienne, détruisent notre marine et livrent aux Anglais avec nos colonies l’empire incontesté de la mer. La longue décadence du règne de Louis XV prépare et rend inévitable la révolution qui va éclater sous son successeur. Tous les esprits sagaces en ont le pressentiment ; le père et l’oncle de Mirabeau l’annoncent à plusieurs reprises, sans croire peut-être qu’elle soit aussi prochaine, sans soupçonner surtout qu’un héritier de leur nom en deviendra bientôt la plus éloquente, la plus puissante personnification.

La violence des passions se transmet si naturellement avec le