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les quartiers populeux. De tous les rapports qu’il recevait, Moreau faisait un résumé qu’il signait, toujours à l’encre rouge. J’ai plusieurs de ces résumés sous les yeux, ils sont intéressans et constatent invariablement que la commune est antipathique à la population. Il avait organisé un système d’espionnage complet qui lui rapportait des renseignemens précieux sur le mouvement de nos troupes, mais dont l’incapacité des chefs militaires de la commune ne sut jamais profiter. Les hommes chargés de ce service étaient tous porteurs d’un laisser-passer ainsi conçu : « Laissez passer le citoyen N. chargé par le délégué à la guerre de prendre des informations extérieures. La garde nationale est invitée à lui faciliter son service. — Le chef du service des reporters, G. Pour la commission de la guerre, le membre de la commune : H. Geresme. » Edouard Moreau était une puissance. Il avait horreur des hébertistes et s’était déclaré l’adversaire implacable de Rigault et de Ferré. Ceux-ci s’inclinaient fort bas devant lui, car ils redoutaient son énergie et l’influence très sérieuse, quoique peu apparente, qu’il exerçait sur toute la fédération. Le gouvernement de Versailles savait à quoi s’en tenir sur sa valeur ; j’ai lieu de croire, sans cependant me permettre de l’affirmer, que plusieurs fois, et toujours maladroitement, on essaya de l’enlever à l’insurrection et de le rattacher au parti de la légalité. On le faisait surveiller, autant que cela était possible, car l’on était inquiet en pensant à lui. M. Thiers s’en préoccupait et disait : C’est l’Eminence grise de la révolte.

Supérieur à Delescluze par l’intelligence, supérieur à Rossel par le caractère, Edouard Moreau était peut-être, de tous les hommes mêlés à la commune, celui qui l’eût le plus facilement absorbée et détruite à son profit, si cette extravagance sociale avait pu se prolonger. Il avait été question de le nommer délégué à la guerre lorsque Rossel se retira, et de lui donner ainsi la haute main sur l’armée insurrectionnelle. La commune eut peur d’avoir l’air d’abdiquer en désignant un membre du comité central et elle choisit Delescluze, qui ne devait point, qui ne pouvait pas la conduire à la victoire. Moreau, quoique subalternisé, avait une importance extraordinaire ; il envoyait des instructions aux chefs de légion pendant que Delescluze expédiait des ordres aux chefs d’armée. De là naissaient des conflits, des confusions dont notre armée, souvent mal renseignée, ne sut profiter. Le délégué de la commune à la guerre et le délégué du comité central se jalousaient mutuellement, et ont plus d’une fois, sans le savoir, neutralisé leurs efforts. Comme rien ne délimitait leurs attributions, ils empiétaient constamment l’un sur l’autre, car chacun d’eux se croyait le maître, l’un parce qu’il représentait la commune, l’autre parce qu’il représentait le comité