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La commune le redoutait, et n’avait point tort, car il la méprisait et le lui laissait voir. Dès le milieu d’avril, il avait dit : « Si la commune ne se conduit pas mieux, nous nous battrons contre elle. » Ce fut lui qui, après s’en être entendu avec Rossel, incita le comité central à ressaisir le pouvoir, et à exiger qu’on lui fît sa part, la part du lion, au ministère de la guerre. C’était s’y prendre trop tard ; rien n’était déjà plus possible pour le salut de l’insurrection. Edouard Moreau, accompagné de Lacord et de B. Lacorre, se présenta devant la commune, en qualité de député du comité central ; il parla seul, et il parla en maître. Il fut à la fois ironique et impérieux : « C’est le comité de la fédération de la garde nationale qui a fait le 18 mars, il prétend en tirer bénéfice et n’être point tenu à l’écart ; la commune oublie trop volontiers qu’elle est la fille, la fille mineure du comité, et elle semble ne pas s’apercevoir qu’elle a plus que jamais besoin des conseils paternels. » La commune, qui régnait par la terreur et qui s’en vantait, n’était point accoutumée à un tel langage ; elle entra en fureur, et menaça Edouard Moreau de le faire arrêter. Il haussa les épaules et répondit : « Si, par malheur pour vous, vous commettiez la bévue de mettre la main sur un seul des membres du comité central, nous nous rendrions tous dans nos arrondissemens, nous reviendrions ici à la tête des fédérés qui n’obéissent qu’à nous, et je me charge seul de vous envoyer tous à la Grande-Roquette. » La commune, qui savait qu’Edouard Moreau disait vrai, resta interdite et l’écouta lorsqu’il reprit : « Dans l’intérêt de la cause que nous servons, il est plus sage de s’entendre et de rester unis. » La commune céda ; les commissions choisies dans le comité central furent installées à la délégation de la guerre, où Moreau, choisissant le poste qui lui convenait, se chargea de la haute police civile et militaire[1]. Il y excella et sut déjouer les tentatives qui avaient pour but de livrer une des portes de Paris à l’armée française et auxquelles M. Thiers lui-même se laissa prendre plusieurs fois. Il faisait surveiller les membres de la commune, les officiers généraux de la fédération, les délégués aux différens services publics ; en outre, il avait deux escouades d’agens spéciaux ; les uns qui parcouraient les quartiers dits conservateurs, les autres

  1. Le comité central était le maître au ministère de la guerre : il y régnait, à l’intendance par Moreau ; à l’ordonnancement par L.-F. Plat et B. Lacorre ; à la solde par Geofroy ; au contrôle général par Gouhier, Prudhomme, Gandier ; à la commission médicale par Fabre, Tiersonnier, Bonnefoy ; à l’infanterie par Lacord, Tournois, Barroud ; à l’artillerie par Rousseau, Laroque, Maréchal ; à l’armement par Bisson, Houzalot ; au génie par Brin, Marceau, Levêque ; à la cavalerie par Chouteau, Avoine fils ; à l’examen disciplinaire par Navarre, Husson, Lagarde, Audoynaud ; à l’état-major par Hansor, Soudry ; à l’équipement par Lavalette, Château, Valatz, Patris, Fougeret ; au train par Millet, Boullenger ; aux subsistances par Bouit, à Ducamp, Grêlier et Drevot. Il avait, comme l’on voit, accaparé tous les services.