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démarche du 183e bataillon, il se conduisit si courageusement à l’affaire de Montretout qu’il fut proposé pour la croix ; — il refusa la croix et demanda un crêpe, fendant toute la guerre, il fit un service militaire irréprochable, et portait sur lui, comme une sorte d’amulette sacrée, une épingle qui avait servi à attacher les langes de son enfant. Il faut croire que les dernières et définitives défaites l’exaspérèrent, car après la capitulation, au lieu de retourner à Londres auprès de sa femme, il entra dans la fédération de la garde nationale, et de là au comité central. Il fut un de ceux qui s’occupèrent le plus activement à faire transporter les canons du parc Wagram jusqu’à la place des Vosges et à la rue Basfroi.

Après le 18 mars, au milieu de la bande illettrée et grossière qui composait le comité central, il apparut avec toute sa supériorité d’écrivain et d’orateur. Dès le début, et jusqu’à ta fin, il fut et resta le maître du comité. Il s’y était engagé sans esprit de retour ; le 18 mars, tous les membres du comité s’étaient attribué une somme de 300 francs, afin de pouvoir fuir en cas de défaite. Trois membres, N. Rousseau, Fabre et Edouard Moreau, refusèrent cet argent, qui, remis en dépôt à Bouit, lui fut volé, le soir même, à l’Hôtel de Ville. Il parait avoir été convaincu de la légitimité de l’insurrection et croire que cette insurrection n’a été faite que dans l’hypothèse que l’assemblée nationale voulait détruire la république ; erreur profonde dans les deux termes ; d’une part, l’insurrection a été menée par des gens qui voulaient le pouvoir pour eux-mêmes et ne se souciaient que fort médiocrement de l’étiquette gouvernementale ; d’autre part, en présence des partis qui divisaient l’assemblée, il ne pouvait être douteux pour un esprit doué de quelque clairvoyance que la république seule était possible. Mais, quoique de bonne foi, Edouard Moreau se laissa emporter par la passion, et lui, homme d’intelligence et d’esprit, il répéta les niaiseries qui avaient cours alors dans le monde des clubs et des cabarets. A la date du 9 avril, il écrit : « Les chefs du gouvernement de la défense nationale, en livrant la France à la Prusse, n’ont eu en vue que de tuer la république, qu’ils craignaient de voir consolidée par la victoire. » II croit, il dit que le comité central a sauvé Paris ; enfin il ajoute — et ceci est grave : — « J’affirme qu’aucune condamnation, quelle qu’elle soit, n’a été prononcée par le comité central. » Il oublie que le 22 mars « le comité ratifie les condamnations à mort prononcées par les généraux Henry et Du Bisson. » Le 28 et le 29 mars, au moment de disparaître, les élections pour la commune étant déjà faites, le comité central condamna à mort par coutumace Ganier d’Abin et Wilfrid de Fonvielle. Je m’étonne que ces incidens soient sortis de la mémoire d’Edouard Moreau, car il était présent lorsqu’ils se sont produits.