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nouvelles avec l’enthousiasme de la jeunesse. On lit dans l’Histoire ecclésiastique de la Bretagne.[1] : « Sans nous embarquer trop, dans la conjecture, restreignons-nous à ce qui est venu de père en fils par tradition jusqu’à Mme Marguerite, princesse de Rohan, qui m’en a informé de sa propre bouche. C’est que durant la plus grande rigueur des édits, Mme Isabeau se tenant à Blain, sa plus belle maison et la plus commode, obtint du roi la permission d’exercer ouvertement sa religion chez elle avec tous ses domestiques. Pour régler le nombre, le gouverneur de Bretagne, qui était pour lors M. le prince de Montpensier, alla la trouver à son château de Blain, et comme il témoigna de l’étonnement sur la grande quantité de gens qu’elle faisait enrôler (elle avait fait venir tous ceux qui, dans le pays, étaient de la religion}: «Quoi, dit-elle avec quelque émotion de colère, trouvez-vous étrange qu’une fille de roi ait un si grand train? » Ceci se doit apparemment rapporter tout au plus tard à l’année 1560, sous le règne de François II, parce que ç’a été la plus rigoureuse contre la réformation, ou la suivante, 1561, sous le règne de Charles IX, au commencement. Auquel temps fut donné le sanglant édit de juillet, défendant, sous peine d’exil, tout exercice de la religion autre que de la romaine[2]. » Le fils de Jeanne d’Albret et d’Antoine de Bourbon, celui qui devait devenir Henri IV, avait eu pour parrain le roi de France (représenté par le cardinal de Bourbon et le roi de Navarre), et pour marraine sa tante Isabel d’Albret. Ce baptême s’était fait à Pau le 6 janvier 1554. Ni Isabel ni Jeanne d’Albret ne s’étaient donc encore ouvertement déclarées pour la religion. Jeanne, dont la foi devait plus tard devenir si ardente et si fanatique, hésita longtemps. Elle modéra le zèle de son mari, qui avait fait venir de Genève le ministre Boisnormand, elle craignait de perdre ses domaines français, elle redoutait les armes d’Henri II. Brantôme dit que « la reine de Navarre, qui estait jeune, belle, et très honneste personne et qui aimait autant une danse qu’un sermon, ne se plaisait pas à ceste nouveauté de la religion. » Mais avant la mort d’Henri II, Jeanne d’Albret avait épousé publiquement les idées nouvelles. Les dernières années de ce règne marquent un moment singulier de l’histoire religieuse. Antoine de Bourbon, toujours entouré de ministres protestans, continuait d’aller à la messe. Il avait des chapelains et des pasteurs. Jeanne d’Albret

  1. Le Noir de Crevain, Histoire ecclés. de Bretagne, p. 60-61. — L’auteur a été ministre à Blain depuis 1651 jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes. Son manuscrit, conservé à la bibliothèque de Rennes, a été publié en 1851 par M. Vaurigaud, pasteur de l’église réformée de Nantes.
  2. Isabel de Navarre fut pendant quelque temps seule à jouir de la prérogative du prêche avec Renée de France, duchesse de Ferrare, seconde fille de Louis XII, qui vivait à Montargis.