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population fédérée commençait à se fatiguer de cette longue bataille qui devait toujours se terminer par une victoire éclatante, et qui finissait invariablement par des défaites. Pour relever les courages hésitans et les cœurs amollis, on faisait des proclamations où l’on insistait ceux qu’on ne pouvait vaincre, où l’on disait son fait à « ce gouvernement sans nom dont les membres sont recrutés pour la plupart parmi les lâches et les incapables du 4 septembre. » On prétend apprendre au peuple ce qui se passe à Versailles : « Mac-Mahon et Ducrot vont donner leur démission ; les duels entre officiers son’, fréquens ; la démoralisation s’est emparée des troupes. » À ces mensonges on ajoute les flagorneries ordinaires dont on nourrit la vanité des foules : « Vous avez été héroïques ! » Si Paris pouvait être vaincu, Paris serait détruit : « Après nos barricades, nos maisons, après nos maisons, nos mines ! La France serait perdue à jamais si l’ignoble gouvernement de Versailles réussissait dans son projet machiavélique. » Cette diatribe, signée par Mortier, Verdure, Delescluze, Avrial, est du 6 mai. C’était en quelque sorte un appel suprême jeté à la révolte ; on s’efforçait de remuer en elle tous les mauvais instincts, non pour la sauver, mais pour la rendre plus redoutable encore, car à cette date nulle illusion ne pouvait subsister.

La commune ne délibère plus, elle divague. La minorité, vaincue par le vote et l’installation du comité de salut public, fait à peine acte de présence. Les jacobins et les hébertistes sont les maîtres. La commune obéit à l’immuable loi qui régit les parlemens sans consistance et sans principes ; elle est tombée entre les mains des violens ; or c’est la destinée des assemblées délibérantes d’être toujours perdues par les partis extrêmes. Cette expérience, la commune l’eût faite, si la France n’était enfin venue mettre un terme à ses aberrations. Lorsque l’armée française rentra dans Paris, les jacobins de l’Hôtel de Ville se préparaient à supprimer les économistes ; c’était un acheminement à la dictature ; plus d’un y visait : Delescluze, Rigault, Eudes et autres. Quant à Rossel, délégué à la guerre depuis le 30 avril, il avait tenté de l’établir à son profit et n’avait réussi qu’à rendre plus inextricable encore une situation déjà tellement confuse que nul ne s’y pouvait plus reconnaître. La commune avait compté sur Rossel, elle s’était dit : Enfin, nous tenons un homme de guerre ! Il sortait de l’École polytechnique, il avait été officier dans le génie, c’était de quoi faire illusion à des hommes dont l’incurable ignorance était le moindre défaut. Rossel de son côté, était plein d’illusion sur lui-même. Il se sentait, il se savait supérieur à la tourbe qu’il commandait, et en concluait naturellement qu’il lui serait facile de la dominer, de s’en rendre maître,