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eut la douleur de perdre son mari encore jeune. Celui-ci, nommé en 1551 chevalier de l’ordre du roi et capitaine de quarante lances de ses ordonnances, fut tué le 20 octobre 1552 auprès de Metz dans un combat soutenu contre le marquis Albert de Brandebourg pendant l’investissement de cette ville par l’empereur Charles-Quint.

Isabel, veuve, enfermée entre les quatre grandes tours de Blain, n’eut plus d’autre pensée que le ciel : elle avait de bonne heure ouvert son cœur aux enseignemens de Marguerite de Navarre : « Le pays de Bretagne[1], écrit De Bèze, entre toutes les autres provinces de la France a été tardif à recevoir la doctrine de l’Évangile, y estant le peuple fort séditieux, combien qu’une partie de la noblesse en ces derniers temps se soit montrée fort affectionnée à la parole de Dieu. Le moyen duquel Dieu se servit pour réveiller ce peuple fut le sieur d’Andelot, lequel en ceste mesme année (1558), au mois d’avril, arrivé en sa maison de la Bretesche menant avec soi Gaspard Carmel, autrement Fleury, ministre de l’église de Paris, le feit prescher à huis ouvers et le jour de Pasques en la maison de Lormais, où fut aussi administrée la sainte cène en bonne compagnie. » D’Andelot, frère de Coligny, avait épousé Claude de Rieux[2], qui lui avait apporté d’immenses biens en Bretagne. Il alla visiter ses terres et fit une visite à Isabel d’Albret en compagnie de Fleury et d’un autre ministre nommé l’Oiseleur qu’il voulait fixer en Bretagne. Isabel les reçut « comme des anges du Seigneur. » Elle fit prêcher Fleury dans la grande salle du château de Blain en présence de ses enfans, de ses officiers et de ses vassaux.

Il faut noter avec soin les premiers contacts de l’ancienne et de la nouvelle foi : parfois elles se heurtent violemment, parfois aussi elles semblent vouloir s’accommoder. Ainsi, malgré les prêches calvinistes du château, rien ne fut changé dans la paroisse de Blain en 1558 et en 1559; un acte de baptême de cette dernière année, que l’on conserve encore, nous prouve que des calvinistes ne se refusaient pas encore à tenir des enfans sur les fonts et à participer aux cérémonies du culte catholique à l’occasion. Cependant une preuve qu’il y avait dans l’esprit des parrains et marraines une arrière-pensée peu favorable au catholicisme, c’est que l’acte de baptême ne porte d’autres signatures que celle de l’officiant : Pierre Havard, recteur résignataire.

On suppose que Mme de Rohan obtint en 1560 la permission d’avoir continuellement le prêche à Blain. Elle s’était tout à fait déclarée après le voyage de D’Andelot, et son fils aîné avait épousé les idées

  1. De Bèze. — Histoire ecclésiastique, t. I, page 151.
  2. Claude de Rieux, fille de Claude de Rieux et de Catherine de Laval.