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de deux bataillons commandés par quatre officiers supérieurs à cheval et accompagnés d’une musique qui ne s’épargnait pas. On échangea quelques félicitations, et tout ce monde, membres de la commune, fédérés, tambours, officiers à cheval, ophicléides, Grand-Orient, rite écossais, Misraïm, grosses caisses, bannières, curieux et curieuses s’en allèrent par la rue de Rivoli vers l’Hôtel de Ville. Là on fit du Cirque-Olympique ; les porteurs de bannière se rangèrent, comme pour l’apothéose d’un cinquième acte, sur les marches de l’escalier d’honneur ; on cria beaucoup, et lorsque le calme fut à peu près rétabli, Félix Pyat fit un discours : « Balles homicides, boulets fratricides, votre acte restera dans l’histoire de la France et de l’humanité… Aux hommes de Versailles, vous allez tendre une main désarmée, mais désarmée pour un moment… » Et, obéissant au mot d’ordre de la commune, il termine en criant : « Vive la république universelle ! » Le vieux dramaturge dut être satisfait, car il fut plus applaudi qu’au théâtre. Le père Beslay était ému ; il fit aussi un petit discours un peu terne, un peu sénile, et donna « l’accolade fraternelle » à un frère placé près de lui. On demanda la Marseillaise, et la musique d’un bataillon ne se le fit pas répéter. Lorsqu’un sang impur eut suffisamment abreuvé nos sillons, Léo Meillet prit la parole : « Vous venez d’entendre la seule musique que nous puissions écouter jusqu’à la paix définitive. Voici le drapeau rouge que la commune de Paris offre aux députations maçonniques… il sera placé au devant de vos bannières et devant les balles homicides de Versailles. » — O citoyen Léo Meillet ! croyez-vous donc qu’elles n’étaient point homicides, les balles qui ont tué le général Lecomte, Clément Thomas, le docteur Pasquier et tant d’autres ? Toutes ces épithètes, cette phraséologie, cette boursouflure ne feront jamais prendre le change à l’histoire.

Ce fut encore le T. G. F. Thirifocq qui reçut le drapeau et profita de l’occasion pour parler. « Si nous ne sommes pas entendus et si l’on tire sur nous, nous appellerons à notre aide toutes les vengeances. Tous ensemble, nous nous joindrons aux compagnies de guerre pour prendre part à la bataille, et encourager de notre exemple les courageux et glorieux défenseurs de notre ville. » Puis le citoyen Thirifocq, agitant le drapeau de la commune, s’écria : « Maintenant plus de paroles, à l’action ! » L’action consistait simplement à déployer les bannières maçonniques sur le talus des fortifications, et à obtenir une suspension d’armes afin de faire une dernière démarche auprès de M. Thiers. Au moment où le cortège se reformait pour se mettre en route, on enleva un ballon en baudruche sur lequel on pouvait distinguer les trois points maçonniques et lire : La Commune à la France. C’est ainsi que les hommes de l’Hôtel de Ville espéraient apprendre au pays tout entier que la