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Thirifocq, qui l’accepta et déclara que « cet emblème resterait dans les archives de la franc-maçonnerie en souvenir de ce jour mémorable. » Lefrançais parla, Allix parla aussi et ne fit pas allusion aux escargots sympathiques ; un vénérable de la rose écossaise annonça que la commune était le nouveau temple de Salomon. Avant de s’éloigner, la députation attacha l’écharpe de Jules Vallès à sa bannière et reçut un drapeau rouge. Puis, après « deux triples batteries aux rites français et écossais, » on se sépara en s’ajournant au samedi 29 avril, pour faire une grande manifestation et mettre le gouvernement légal en demeure de capituler. Les communards ne se tenaient pas de joie ; Jules Vallès écrivit dans le Cri du peuple : « C’est la défaite de Versailles. »

Les convocations furent faites ; celles du Grand-Orient par voie d’annonce dans les journaux ; celles du rite écossais par lettre individuelle d’une rédaction singulièrement emphatique : « T.*. G.*. F.*., vous êtes invité à vous rendre… pour accompagner votre bannière qui, représentant la fraternité des peuples, va par sa présence protester contre la tyrannie et assurer aux générations futures l’avenir de la liberté. » Le rite de Misraïm ne fut point officiellement appelé ; il ne fut représenté que par une dizaine de délégués dont l’un portait la petite tenue de sous-lieutenant d’infanterie. Le rendez-vous était fixé pour neuf heures du matin, et indiquait la cour du Louvre. Chaque loge avait sa bannière ; chaque membre de l’atelier a revêtu les insignes de son grade. Les chevaliers rose-croix ont au cou le cordon rouge, les chevaliers Kadoches ont en sautoir l’écharpe noire frangée d’argent. J’étais là ; j’avais voulu me rendre compte de l’importance de cette manifestation. Je me trouvais placé près d’un peintre de talent, nous causions ; nous regardions ces bannières de toutes couleurs où s’étalaient des devises de fraternité qui avaient bien peu de raison d’être en ce moment ; les étendards, les écharpes, les tabliers, les rubans formaient une indescriptible confusion de nuances déplaisantes ; le peintre eut un geste très sincère de colère et me dit : — Je ne serai jamais franc-maçon ; ces gens-là sont trop peu coloristes.

On avait l’intention de se réunir dans le Carrousel, mais on avait compté sans la foule désœuvrée, avide de spectacles, qui avait envahi, non-seulement le Carrousel, mais encore le square Napoléon. On résolut alors de se transporter dans la cour des Tuileries, et à dix heures du matin le cortège se mit en marche, précédé par les chasseurs de la commune, suivi par le 129e bataillon de fédérés. Au moment où les maçons, après avoir à grand’peine traversé le flot de curieux qui encombraient leur route, allaient pénétrer dans la cour des Tuileries, les délégués de la commune, Félix Pyat, Lefrançais, Frankel, Pottier et Clément, arrivaient en grand appareil, escortés