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laquelle M. Eugène Lamy continue à froisser les toilettes, à allumer les visages, à précipiter les gestes, à mêler joyeusement ses figurines grouillantes aux agitations des draperies, des paysages et des architectures, dans ses illustrations de Shakspeare, de Molière, de Perrault, nous reporte à des habitudes passionnées qui ne sont point celles d’une génération plus rassise, plus défiante et plus froide. Nos illustrateurs d’aujourd’hui veulent des compositions plus calmes, des figures plus arrêtées, plus de réalité dans les visages et plus d’exactitude dans les accessoires. M. Henri Baron marque bien la transition entre les deux écoles. Bien que ses sujets Chez l’imagier, Chez un sculpteur, Dans un jardin, Départ pour la pêche, soient conçus et traités dans l’esprit romantique, sa manière, plus réservée et plus prudente, qui l’avoisine à Delaroche plus qu’à Delacroix, a déjà perdu cette liberté chaleureuse et vivace qu’on admire encore, toute calmée qu’elle soit par les ans, chez MM. Isabey et Lamy. Sans doute, tout cela sent son vieux temps ; ces chers maîtres touchent à leur automne, leur pinceau, comme leur visage, se décolore un peu aux approches de l’hiver, mais avec quelle résignation légère et quelle naturelle sérénité ! Comme on sent en eux les artistes de race ! Quoi de plus vrai, de plus vif, de plus chaud chez les plus habiles naturalistes de l’école actuelle que cet Intérieur de l’église de Frari où M. Eugène Isabey traduit, en quelques traits hardis, une vision rapide de toutes les somptuosités décoratives de Venise, de cette Venise chaude et vivante, si chère aux rêveurs romantiques. Quel est l’impressionniste capable de donner aux yeux pareille fête ?

Quel serait encore l’impressionniste digne de lutter avec M. Jules Jacquemart pour la vivacité et la franchise de la sensation devant les effets de paysage ? Dieu sait cependant si M. Jules Jacquemart en prend à l’aise et s’il se moque du qu’en dira-t-on ! Nul n’a moins souci de cette propreté méticuleuse et de cette énumération des détails qui est, pour le gros public, la perfection de l’art. Ses aquarelles ressemblent aux pochades des indépendans, en ce qu’elles apparaissent comme des séries de taches vivement éparpillées sur le papier sous le coup d’une émotion brusque devant un phénomène extérieur. Seulement, M. Jacquemart, qui était un savant graveur avant d’être un habile aquarelliste, M. Jacquemart, qui ne peint qu’à ses heures, après avoir longtemps dessiné, M. Jacquemart, quand il fait un croquis, sait ce qu’il fait. De toutes ces taches, papillotantes et frétillantes, qui tremblent et pétillent sous le verre, aucune n’est lancée au hasard, et l’ensemble de tous ces lambeaux de couleurs, agités par une sensation intense, traduit énergiquement l’état d’âme de l’artiste, au moment où tel effet l’a frappé. On dirait de ces lettres écrites à la hâte, dans une auberge, sur un coin de table, à un ami intime, sous le coup d’une profonde et récente impression de voyage. Les phrases sont hachées, les mots écorchés, les virgules absentes, mais dans ces soubresauts et ces halètemens d’un