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Cette vérité a déjà été soupçonnée par quelques-uns des plus récens historiens de la pensée religieuse des Grecs. Ottfried Müller a montré comment certaines tribus grecques avaient apporté et répandu certains cultes, et il a établi ainsi une liaison féconde entre l’histoire et la mythologie ; mais il n’a pas su refaire la synthèse et il a été entraîné à sacrifier telle race à telle autre, les Ioniens par exemple aux Doriens. Welcker s’est préservé de ce défaut ; il a embrassé le monde divin dans son ensemble, et il y a distingué d’anciennes et de nouvelles divinités, des couches superposées et des générations qui se succèdent ; mais il n’a pas poussé ses vues jusqu’aux conséquences qu’elles comportaient et, après lui, on s’en est tenu presque toujours à une exposition systématique où la question d’origine est négligée, où les lois du développement sont méconnues, où les Grecs semblent vivre dans une enceinte fermée, en dehors du mouvement de cette civilisation complexe qui fleurit autour du bassin oriental de la Méditerranée. On peut adresser le même reproche à Ed. Gerhard et à sa méthode statistique, au riche dénombrement qu’il entreprend de toutes les conceptions religieuses que les Grecs ont traduites par le culte ou par la plastique.

Une autre école a prétendu retrouver tous les élémens importans de la mythologie grecque dans un fonds de croyances communes à tous les peuples de race aryenne, par eux apporté de leur lointain berceau. Cette école, celle d’Adalbert Kuhn et de Max Muller, a rendu de grands services par les comparaisons qu’elle a établies entre les plus anciens monumens de la pensée religieuse chez les peuples aryens, par les lumières qu’elle a jetées sur la manière dont s’éveille et se développe le sentiment qui se trouve au fond de tous les cultes. Sa faiblesse, ç’a été de ne pas apprécier à leur juste valeur les influences qu’a subies le peuple grec depuis que, détaché, de ses frères aryens, il est entré dans le cercle des peuples riverains de la Méditerranée[1]. On a eu aussi le tort d’attribuer aux conceptions religieuses la même persistance qu’à la langue, de croire qu’elles résistent aussi victorieusement à l’infiltration des élémens étrangers. Malgré l’attachement que tout peuple de race pure et de tempérament jeune porte à ses dieux, il ne lui est pas possible de se soustraire à l’action des religions du dehors ; il y a là pour ses croyances un péril auquel celles-ci auront d’autant moins chance d’échapper que le peuple voisin aura une civilisation plus brillante et un culte où les images et la pompe extérieure jouent

  1. Dans l’ouvrage vraiment remarquable qu’il vient de publier sous le titre de Mythologie de la Grèce antique, M. Decharme n’est pas tombé dans ce défaut. Il n’a pas manqué, dans son introduction (pages xxviii-xxix) d’indiquer quelle part devait revenir à l’Orient sémitique dans la formation des mythes grecs.