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jouets d’enfant ; le type semble pourtant trop marqué, trop traditionnel pour que ces groupes n’aient pas eu, au moins à l’origine, un sens, un caractère religieux. Ce caractère est encore plus marqué dans une autre figure qui se rencontre non moins fréquemment à Cypre, soit en terre cuite, soit en pierre ; elle représente une femme nue, vue de face. Un riche collier à plusieurs étages s’étale sur la poitrine ; les hanches sont très marquées, les flancs amples et larges. Les deux mains pressent les seins, comme pour en faire jaillir une source de vie. Parfois une seule des mains est posée sur la poitrine ; l’autre s’applique sur le ventre.

Ces dernières figurines sont toujours d’un travail très primitif, très grossier ; on s’accorde à y reconnaître cette Astarté syrienne qui, sur toutes les côtes de la Méditerranée, a précédé l’Aphrodite grecque, avec laquelle elle a fini par se confondre. Rien de plus informe et de plus barbare que ces idoles, qui, pendant plusieurs siècles, sont sorties par milliers des ateliers de Tyr, de Sidon et de Kition pour être répandues à profusion sur toutes les plages où abordaient les navires phéniciens ; cependant, selon toute apparence, ce sont elles qui ont suggéré au génie grec la première idée de l’un de ses types les plus charmans, celui de l’Aphrodite cnidienne, de la Vénus du Capitole et de la Vénus de Médicis. Dans ces vieux simulacres asiatiques, dont le premier modèle paraît avoir été fourni par l’image de la Zarpanit babylonienne, le geste appelle l’attention d’une part sur ces flancs qui reçoivent la semence et qui abritent l’enfant pendant la gestation, de l’autre sur ces mamelles qui l’abreuveront quand il aura vu la lumière du jour. C’est une allusion directe et naïvement brutale aux mystères de la fécondation et de la génération. Pour éveiller des pensées toutes différentes, l’artiste grec n’a eu qu’à modifier légèrement le geste ; ce que la main désigne dans le modèle oriental, elle le cache ici comme par un mouvement instinctif de pudeur; elle fait songer aux sentimens les plus délicats que comporte la nature féminine, affinée et cultivée par la civilisation. La statuette phénicienne représente la femelle de l’homme ; la Vénus pudique, embarrassée de sa nudité, gracieuse et décente, représente la femme.

En dehors de ce qui touche au culte de la grande déesse adorée à Paphos et dans les principaux sanctuaires de l’île, nous savons bien peu de chose des religions cypriotes et des mythes qui leur étaient propres ; lorsqu’il ne s’agit pas de simples portraits ou de scènes de genre, nous avons donc souvent quelque peine à trouver un nom pour certaines figures que nous ont fournies les fouilles de Cypre, pour expliquer certains sujets qui se rencontrent dans les bas-reliefs des temples ou dans ceux des sarcophages. Sur plusieurs