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REVUE DES DEUX MONDES.

Engel, dans l’ouvrage qu’il consacrait à Cypre avant les fouilles et découvertes de ces trente dernières années, a recueilli, avec une rare connaissance de la littérature ancienne et une patiente industrie, tous les passages des auteurs qui se rapportent au culte cypriote, à son esprit et à ses rites. Rapprochez de ces textes les monumens figurés que le sol de l’île a fournis depuis lors à nos musées, et vous pourrez, ce semble, vous donner pour quelques instans tout au moins la vision et comme l’hallucination de tout un monde disparu sans retour, des temples cypriotes et de leurs bois sacrés. Tout y parlait d’amour et de volupté. L’air y était plein de parfums, plein de bruits doux et caressans. C’était le murmure des sources qui coulaient sur des tapis de fleurs ; c’était, dans le feuillage, le chant du rossignol, le tendre et long roucoulement de la colombe; c’était les sons de la flûte, l’instrument favori d’Aphrodite et de Dionysos, celui qui sonne l’appel du plaisir et qui conduit à la salle du festin les processions joyeuses et le cortège nuptial. Sous des tentes, sous des cabanes légères dont les parois étaient formées de verts branchages adroitement enlacés, des rameaux odorans du myrte et du laurier, se tenaient les esclaves de la déesse, celles que Pindare appelait, à Corinthe, les servantes de la persuasion. C’était des filles grecques ou syriennes, couvertes de bijoux, vêtues de riches étoffes que bordait une frange de cou- leur brillante. Le sombre éclat de leur chevelure était relevé par la mitre, écharpe d’une nuance chaude et gaie qui se mêlait aux épaisses tresses noires; il l’était par des fleurs naturelles piquées sur le front, l’œillet, la rose ou les rouges pétales du grenadier. Dans tout l’Orient, les femmes savent encore ainsi, avec un goût charmant, emprunter leur parure aux buissons des haies et aux parterres des jardins. Sous l’arc de sourcils allongés au pinceau, les yeux étincelaient, agrandis par les teintes brunes de la poudre de henné. Le carmin avivait la fraîcheur des joues et des lèvres, attirantes comme un fruit mûr ; des colliers d’or, d’ambre et de verre pendaient sur la poitrine. Tenant en main le pigeon, symbole de fécondité, la fleur ou le rameau de myrte, ainsi décorées d’insignes qui témoignaient de leur office religieux, ces femmes attendaient là, souriantes et calmes. Un soleil radieux brillait au ciel; la brise de mer, courbant doucement la cime des palmiers et des platanes, en faisait bruire les feuilles,

et, sur leurs gorges blanches,
Les prêtresses sentaient trembler l’ombre des branches.


Ce n’était pas seulement la multitude des vivans qui se pressait autour du sanctuaire, qui en remplissait les parvis et en peuplait les bois sacrés ; de nombreuses statues y représentaient les générations