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L’ÎLE DE CYPRE.

Pendant la guerre de Judée, Titus, nous raconte Tacite, « eut la fantaisie de visiter ce sanctuaire, célèbre par le concours des indigènes et des étrangers. » L’historien s’arrête à ce propos, pour indiquer en quelques mots « les origines de ce culte, les rites pratiqués dans ce temple, la forme sous laquelle est adorée la déesse, forme qui ne se retrouve nulle part ailleurs. » Ce qu’il rapporte au sujet des origines est insuffisant et obscur, comme ce qu’il dit ailleurs des Juifs, de leur histoire et de leur religion ; il y a pourtant là quelques détails assez précis sur les règles suivies pour les sacrifices et sur l’image de la déesse « qui n’est point représentée sous la figure humaine ; c’est un bloc circulaire qui, s’élevant en cône, diminue graduellement de la base au sommet. La raison de cette forme est ignorée. » Tacite ajoute que Titus prit plaisir « à contempler les richesses du temple et les dons qu’y avaient accumulés les anciens rois, ainsi que toutes ces antiquités que la vanité des Grecs fait remonter à des époques inconnues. » Il nous montre enfin le futur empereur sacrifiant de nombreuses victimes et interrogeant l’oracle dont les réponses le comblent de joie.

Ce n’était point un temple hellénique que celui où l’œil ne rencontrait qu’une pierre presque brute à la place qu’occupait, dans le sanctuaire de Cos ou de Cnide, l’Aphrodite de Praxitèle. Au lieu de cette image accomplie de la grâce et de la beauté féminine, un grossier symbole phallique, un caillou sacré, un bétyle, comme disaient les Grecs, qui avaient emprunté aux Sémites, dans une très haute antiquité, le culte de ces fétiches et le terme même par lequel on les désignait au pays de Chanaan[1]. Ces pierres levées, les Grecs ne tardèrent pas à les remplacer par des statues, que d’âge en âge ils firent plus belles jusqu’au jour où ils arrivèrent à représenter la divinité sous les plus nobles traits que puisse revêtir la créature humaine dans ses exemplaires les plus rares et les plus achevés. Au contraire Syriens et Arabes, avec leurs conceptions religieuses plus vagues et plus flottantes que celles des Grecs, étaient restés attachés à ces symboles presque informes qu’entourait une vénération d’autant plus profonde que les origines en étaient plus lointaines et plus mystérieuses ; rappelez-vous la pierre noire d’Émèse, dont Héliogabale était le prêtre, et celle de la Caaba, devant laquelle faisaient leurs dévotions, avant la prédication de l’islamisme, les contemporains de Mahomet. Tacite se trompe en mettant sur le compte des Grecs les mythes que Titus entendit raconter à Paphos par les exégètes du temple, les monumens votifs qu’on lui fit passer en revue ; l’historien nous en avertit lui-même, à son insu, par ce qu’il nous dit du symbole qui figurait, à Paphos,

  1. Beït el, maison de Dieu.