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nouvelle, fait descendre ses vaisseaux du rivage. Quel est l’amiral de nos jours qui, se trouvant mouillé à quelques lieues à peine de la flotte ennemie, d’une flotte formidable tout au moins par le nombre, voudrait laisser à un de ses lieutenans le soin de tenir cette flotte en échec, s’en irait procéder au loin à quelque opération de détail, emmenant avec lui les meilleurs de ses vaisseaux, et croirait que, pour n’avoir rien à craindre des suites de son absence, il lui suffira d’enjoindre à qui le remplace « la plus complète immobilité jusqu’à son retour? » Telle est pourtant l’inqualifiable imprudence que commet Alcibiade. Il part de Notium avec une escadre de choix et s’en va prêter assistance à Thrasybule qui fortifiait Phocée, aux habitans de Clazomène récemment pillés par quelques bannis. Quand il revient jeter l’ancre, de l’entrée du golfe de Smyrne au fond du golfe de Scalanova, sa flotte a subi un échec dont le retentissement se prolonge dans tout l’Archipel et va porter le doute et le soupçon jusqu’au cœur d’Athènes.

Ce fut, paraît-il, à Antiochus, le pilote-major de cette flotte, « bon pilote, dit Plutarque, mais esprit lourd et sans intelligence, » qu’Alcibiade, lorsqu’il se porta vers le nord, remit le commandement. Xénophon ne parle pas avec cette sévérité d’Antiochus, et Diodore de Sicile ne nous montre le pilote d’Alcibiade que sous les traits d’un homme entreprenant sans doute, mais digne à tous égards de la confiance qu’il avait inspirée. Je suis loin de croire, pour ma part, que le chef temporaire de la flotte de Notium ait enfreint ses ordres, le jour où, avec deux vaisseaux, il alla reconnaître la flotte de Lysandre. « S’il eût brûlé du désir de faire quelque action d’éclat, » comme Diodore l’en accuse, ce n’est pas avec deux vaisseaux qu’il eût pris la mer, c’est avec toute la flotte. Serait-il vrai d’ailleurs que cet Antiochus ait été saisi d’un soudain accès de démence, qu’il soit venu défiler insolemment devant les proues des vaisseaux ennemis, « faisant mille folies, jetant au vent mille insultes ridicules, » la responsabilité d’Alcibiade ne s’en trouverait pas pour cela sérieusement atténuée. « Gouverner c’est choisir, » et, quand on choisit un fou pour lui confier la garde de ce qu’on devrait surveiller soi-même, on demeure responsable des conséquences. Lysandre a été provoqué : admettons-le, puisque Xénophon lui-même l’atteste. Il ne rompra pas pour si peu sa ligne d’embossage; il se borne à en détacher quelques navires rapides. Antiochus tourne bride; les trières du Péloponèse lui appuient vigoureusement, la chasse. Du mouillage de Notium on l’aperçoit, fuyant, vivement pressé, en danger d’être pris; naturellement, on vole à son secours. Lysandre alors s’avance avec toute sa flotte rangée en bataille. Le grand art de Lysandre paraît avoir été,