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fait étalage d’un état-major ridicule, d’avoir voulu jouer à l’aristocrate militaire... « d’avoir mis son ambition personnelle au-dessus du devoir et du bien public. » Il demande que Bergeret soit maintenu en état d’arrestation jusqu’à la fin des hostilités, parce que « sa présence parmi les gardes nationaux serait un objet de trouble, vu le caractère présomptueux, intrigant et personnel dudit citoyen. » On dit qu’à Mazas Bergeret écrivit sur le mur de sa cellule : « A bientôt, Cluseret, je t’attends ici. » Cluseret, emprisonné, fut remplacé par Rossel, et ce remplacement concordait avec la nouvelle révolution que la commune accomplissait. Elle laissait les délégués à leur poste, supprimait les commissions, et, sous le titre de comité de salut public, créait une dictature composée de cinq personnes. Cette mesure d’une insurrection in extremis fut vivement et vainement combattue dans de longues discussions que j’ai déjà résumées ailleurs[1]. Cette fois la scission était définitive; les deux partis qui se partageaient la commune étaient face à face, comme deux frères ennemis se haïssant et cherchant à se supplanter. Ils ne se réuniront qu’à l’heure du dernier combat, lorsqu’il s’agira de mettre à exécution le programme formulé depuis tant d’années : « Paris sera à nous ou Paris ne sera plus! » Mais jusque-là les deux groupes se côtoient et s’observent sans se mêler ; d’une part les socialistes, qui se croient intelligens parce qu’ils rêvent tout éveillés; de l’autre les jacobins, qui se croient énergiques parce qu’ils se savent prêts à toutes les violences.

Pendant que la commune entrait déjà en agonie, elle recevait de quelques étrangers des encouragemens qui la chatouillaient au plus vif de son amour-propre et qui lui faisaient peut-être espérer qu’un jour elle serait reconnue comme gouvernement régulier. Un député de Leipzig, socialiste de profession, M. Bebel, était monté à la tribune du Reichstag de Berlin et avait fait l’éloge de la commune de Paris; on avait laissé passer ses paroles sans protestations, car il est certains goûts dont il ne faut pas disputer; mais l’hilarité devint générale et presque insultante, lorsque l’on entendit l’orateur s’écrier : « On accuse la commune de pousser à la guerre civile ; c’est une calomnie, car la modération a toujours été de son côté. » L’Hôtel de Ville fut très flatté de cette attestation de bonne conduite qui lui était publiquement décernée sur les bords de la Sprée, là même où sept ans plus tard un régicide devait gravir les degrés de l’échafaud en criant : « Vive la commune ! » et il la fit insérer dans les journaux. Il y joignit une adresse qu’une société démocratique de Florence lui avait économiquement expédiée par la poste : « Que

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1878, la Banque de France pendant la commune.