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expédition presque officielle, car elle est subventionnée par le gouvernement de Berlin. Déjà les érudits lui prédisent qu’il y rencontrera des vestiges de l’époque romaine[1]. Il y avait jadis dans cette région, au temps de Ptolémée, un vaste empire dont la capitale, Garama, s’élevait sur un massif montagneux un peu plus au sud que le tropique. Ce massif, il figure sur nos cartes ; c’est le Tibesti ; il a, dit-on, de belles sources, bien que déboisé : on le connaît, mais aucun des voyageurs modernes ne l’a traversé. Quelques-uns, qui sont passés à distance, racontent avoir entendu parler d’une ville en ruines. Pourquoi cet empire, si prospère au début de l’ère chrétienne, aurait-il disparu? La cause en est simple : c’est l’invasion arabe qui s’est abattue comme un fléau de l’Egypte au Maroc et qui a tout anéanti.

Passons maintenant sur la côte orientale par où l’on aborde les merveilleux pays de l’intérieur où Livingstone a passé les dernières années de sa vie. On sait quelles descriptions séduisantes le grand voyageur et ceux qui marchaient sur ses traces ont rapportées de la région des lacs. Les négocians anglais se sont dit, paraît-il, qu’il y a là des millions de consommateurs à satisfaire, et déjà dans un meeting à Manchester on a discuté le tracé d’un chemin de fer qui de l’Océan-Indien irait à l’extrémité sud du lac Victoria, du lac Victoria au Tanganika, puis au Nyassa, et compléterait de Mombaz à l’embouchure du Zambèze une voie circulaire moitié fluviale et moitié terrestre. Le terrain est favorable, c’est M. Stanley qui l’affirme, les bois de construction abondent, la main d’œuvre est à bon marché. Quel débouché pour une nation manufacturière que cette région des lacs où l’on prétend avoir découvert 30 millions d’habitans !

A la pointe sud du continent, c’est encore l’Angleterre qui construira des chemins de fer pour l’usage des colonies qu’elle y possède ; puis, comme ces colonies n’ont encore que des communications maritimes avec le reste du monde, le réseau devra le plus tôt possible se relier à celui des lacs dont il vient d’être question, descendre ensuite la vallée du Nil pour aboutir à l’isthme de Suez, ou mieux encore franchir l’espace encore inconnu de l’Albert-Nyanza au lac Tchad et former une ligne continue d’Alger à Cape-Town. Bien entendu un embranchement dirigé du lac Tchad au cap Guardafui à travers les montagnes du Choa et les terres des farouches Somanlis s’ouvrirait aux voyageurs qui vont de l’Europe aux Indes. Tout cela se discute, se dessine sur les cartes, s’évalue en dépenses et en produit net, comme s’il n’y avait plus en Afrique ni déserts de sable, ni chaînes escarpées, ni peuplades sauvages, ni

  1. Voyez la Prochaine découverte du pays des Garamantes, par M. Berlioux, professeur de géographie à la faculté de Lyon.